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LA

FORÊT DE RENNES

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CHAPITRE PREMIER

LA CHANSON.

Le voyageur qui va de Paris à Brest, de la capitale du royaume à la première de nos cités maritimes, s’endort et s’éveille deux fois bercé par le cahoteux balancement de la diligence, avant d’apercevoir les maigres moissons, les pommiers trapus et les chênes ébranlés de la pauvre Bretagne. Il s’éveille la première fois dans les plaines fertiles du Perche, tout près de la Beauce, ce paradis des négociants en farine : il se rendort poursuivi par l’aigrelet parfum du cidre de l’Orne, et par le patois nasillard des naturels de la Basse-Normandie. Le lendemain matin, le paysage a changé : c’est Vitré, la gothique momie, qui penche ses maisons noires et les ruines chevelues de son château sur la pente roide d’une abrupte colline ; ce sont de vastes prairies plantées çà et là de saules et d’oseraies où la Vilaine plie et replie en mille fantasques détours son étroit ruban d’azur. Le ciel, bleu la veille, est devenu gris ; l’horizon a perdu son ampleur, l’air a pris une saveur humide qui énerve l’appareil de la respiration. Au loin, sur la droite, derrière une série de monticules arides et couverts de genêts, on aperçoit une ligne noire. C’est la forêt de Rennes.

La forêt de Rennes est bien déchue de sa gloire antique. Les exploitations industrielles ont fait, depuis cinquante ans, un terrible massacre de ses beaux arbres. MM. de Rohan, de Montboucher, de Chateaubriand y couraient le cerf autrefois, en compagnie des seigneurs de Laval, invités tout exprès, et de M. l’intendant royal, dont on se serait passé volontiers. Maintenant, c’est à peine si les commis rougeauds des maîtres de forges y peuvent tuer à l’affût, de