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les heures passées et se trouver face à face avec son amant, dans la soirée de la veille.

Comme sa conduite eût été différente ! comme elle se serait montrée tendre et curieuse ! comme elle eût interrogé !

Mais les regrets sont vains, elle s’était sacrifiée à son dévouement pour Denise ; elle avait repoussé Jean, et Jean ne revenait pas.

À mesure que la journée s’avançait, l’inquiétude de Gertraud augmentait. Son joli visage, qui d’ordinaire exprimait tant de joie espiègle et naïve, peignait l’abattement et une sorte de terreur. Elle sentait, au fond de l’âme, l’angoisse inconnue d’un pressentiment funeste.

Mais au plus fort de sa méditation douloureuse, vous eussiez vu ses traits s’épanouir tout à coup, et la gaieté revenir pétiller dans ses grands yeux.

Un pas se faisait entendre dans l’escalier, et le cœur de Gertraud eût reconnu ce pas entre mille.

Elle se leva. Plus de traces de larmes. Elle gagna, leste et sémillante, la porte qu’elle ouvrit avant qu’on eût frappé.

— Jean ! mon pauvre Jean ! s’écria-t-elle en descendant à la rencontre du joueur d’orgue ; que vous est-il arrivé ?… D’où venez-vous ?… Entrez ! entrez ! bien vite… Oh ! que vous m’avez fait peur !

Elle tendit son front que Jean toucha de sa lèvre ; l’escalier était obscur, elle ne vit point en ce premier moment la détresse qui était sur les traits du jeune homme.

Elle le prit par le bras et l’entraîna dans sa chambrette, où elle l’assit auprès d’elle, tout auprès, serrant sa main entre les siennes, et heureuse de toute l’inquiétude oubliée.

Jean ne parlait point. Après deux ou trois minutes, durant lesquelles la jeune fille se recueillait en son bonheur, elle s’étonna du silence de Jean et leva sur lui ses yeux brillants de plaisir.

Elle eut un frisson et sa joue rose redevint plus pâle que naguère.

— Qu’avez-vous, Jean ? balbutia-t-elle épouvantée.

Jean essaya de sourire.

La jeune fille répéta deux fois sa question sans obtenir de réponse, et pendant cela, son regard avide parcourait Jean de la tête aux pieds ; elle