Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/465

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

deux rampes, rejoignaient leurs épais branchages et formaient une voûte impénétrable. Cet immense berceau, noir, lugubre, solitaire, avait nom, dans le pays, la Fosse-aux-Loups. Point n’est besoin de dire au lecteur l’origine probable de ce nom.

Le voyageur égaré qui traversait par hasard ce site sauvage, dont les lugubres teintes, transportées sur la toile par un pinceau de mérite, formeraient une décoration merveilleusement assortie pour certains de nos drames de boulevard ; le voyageur, dis-je, n’apercevait de prime aspect nulle trace du voisinage ou de la présence des hommes. Partout la solitude, partout le silence, rompu seulement par ces mille bruits qui s’entendent là où la nature est livrée à elle-même. On aurait pu se croire au milieu d’un désert. Néanmoins, un examen plus attentif eût fait découvrir, demi-cachée par un bouquet de frênes, une petite loge de terre battue, couverte en chaume, et dont l’unique ouverture était garnie de lambeaux de serpillière faisant l’office de carreaux. Cette loge s’appuyait à l’une des deux tours. Son apparence misérable, loin d’égayer le paysage, jetait sur tout ce qui l’entourait un reflet de détresse et d’abandon.

C’était, comme nous l’avons vu, à la Fosse-aux-Loups que Nicolas Treml avait donné rendez-vous à Jude, son écuyer. Le bon serviteur était à son poste avant le jour. Tandis qu’il attend patiemment son maître, assis sur les cent mille livres qui représentent, à cette heure, l’opulent domaine de Treml, nous soulèverons le lambeau de toile qui ferme la pauvre loge couverte en chaume, et nous introduirons à l’intérieur un regard curieux.

La loge était composée d’une seule chambre. Ses meubles consistaient en un grabat et deux escabelles. Au lieu de plancher, le sol nu et humide ; au lieu de plafond, le revers de la couverture, c’est-à-dire le chaume, supporté par des gaules qui servaient de solives. Dans un coin un peu de paille, et sur la paille un homme endormi.

Sur le grabat un autre homme veillait : c’était un vieillard que l’âge et la maladie avaient réduit à une extrême faiblesse. Il souffrait, et ses deux mains qui serraient sa poitrine semblaient vouloir étouffer une plainte.

L’homme qui gisait sur le grabat et celui qui dormait sur la paille avaient entre eux une ressemblance frappante. Leurs traits étaient également pâles et comme effacés ; tous deux avaient des chevelures de neige. C’étaient évidemment le père et le fils, mais l’âge avait blanchi la chevelure du vieillard, tandis que le jeune homme, créature monstrueuse et exceptionnelle, avait apporté en naissant ce signe ordinaire de la décrépitude. C’était Jean Blanc, l’albinos.

Une douleur plus aiguë arracha au vieillard un cri plaintif. Jean bondit sur la paille froissée de sa couche, et fut sur pied en un instant. Il s’approcha du grabat et prit la main de son père qu’il pressa silencieusement contre son cœur.

— J’ai soif, dit Mathieu Blanc.

Jean saisit une écuelle fêlée où restaient quelques gouttes de breuvage, et la tendit à son père qui but avec avidité.

— J’ai encore soif, murmura le vieillard après avoir bu ; bien soif.

Jean parcourut des yeux la cabane. Il n’y avait rien.