Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/527

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je ne sais d’où vient ce soupçon…

— Ce n’est pas un soupçon… Il y a, voyez-vous, une sorte de fraternité entre nous autres jeunes filles de la forêt. Je suis noble et riche, elle est paysanne et pauvre ; mais, enfants, nous nous sommes rencontrées souvent dans les bruyères. Nous avons joué autrefois comme deux sœurs sous les grands chênes qui protègent Notre-Dame de Mi-Forêt… Je l’avais apprivoisée, la petite sauvage ! Depuis, tandis qu’elle restait dans sa solitude, je faisais, moi, connaissance avec le monde ; tandis qu’elle courait, libre, sous le couvert, j’apprenais mes devoirs de fille noble…, j’apprenais à porter le velours et la soie, à parler, à me taire, à sourire… Étrange destinée ! elle, dans sa solitude, moi, au miiieu des somptueuses fêtes de Rennes, nous avons subi toutes deux le même sort… Elle a donné son cœur à l’homme que je… que je croyais aimer !

— Vous ne m’aimez donc pas, Alix ?

— Qu’importe ! nous ne parlons plus de moi. Un jour, il y avait deux mois que vous étiez parti, Didier ; je me promenais seule dans la forêt, songeant aux belles fêtes de Mgr. le comte de Toulouse, songeant à vous peut-être, lorsque j’entendis une voix connue qui chantait sous le couvert la complainte d’Arthur de Bretagne.

— Fleur-des-Genêts ! balbutia le capitaine.

Alix tressaillit douloureusement.

— Fleur-des-Genêts, répéta-t-elle. Vous savez enfin de qui je parle, Didier… Il y avait bien longtemps que je ne l’avais vue. Que je la trouvais belle ! Elle me reconnut tout de suite et vint à moi les bras ouverts. Puis elle prit dans son panier de chèvrefeuilles un beau bouquet de primevères qu’elle attacha sur mon sein, puis encore elle me parla de vous.

— De moi ! prononça automatiquement Didier.

— Elle ne vous nomma point, mais je vous reconnus… J’étais folle encore alors, monsieur ; je sentis mon cœur se serrer.

Le capitaine avança timidement sa main pour prendre celle d’Alix.

— Hélas ! mademoiselle, dit-il, je suis bien coupable envers vous envers toutes deux peut-être…

— Envers elle seulement, monsieur, si vous dites un mot de plus… N’oubliez pas que vous l’aimez ; n’oubliez pas qu’elle vous aime…

— Mais vous, Alix ?

Il n’y avait point de fatuité dans cette interrogation qui partait du cœur.

— Moi ?… oh ! je vais vous dire tout à l’heure la brillante destinée qu’on me propose… Un mot encore sur elle. Comptez-vous l’épouser ?

Didier ne s’était, à coup sûr, jamais fait cette question. Il ne sut point y répondre. Mademoiselle de Vaunoy fronça légèrement ses noirs et délicats sourcils.

— Vous comptez l’épouser, reprit-elle d’une voix grave. Ce doit être votre désir et c’est votre devoir… Elle est pauvre, mais vous avez votre épée, et vous n’êtes point de ceux que leur naissance enchaîne.

En prononçant ces derniers mots, Alix avait réussi à dépouiller toute mélancolique expression. Elle parlait d’un ton ferme et convaincu.