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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/539

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blessé un cœur vulgaire ; mais Alix était au-dessus de cette grossière atteinte. Son front resta serein, et ce fut avec un sourire mélancolique, mais tranquille, qu’elle reprit la parole.

— Je suis de votre avis, mon père, dit-elle ; je crois que tout est pour le mieux.

Vaunoy connaissait sa fille, et, si peu fait qu’il fût pour la comprendre, il avait pour elle une sorte de respect. Néanmoins, cette résignation lui sembla si extraordinaire, qu’il eut peine à y croire. Involontairement et suivant la pente de sa vieille habitude, il reprit son espionnage moral.

— Saint-Dieu ! dit-il après un silence, vous êtes le parangon des filles, Alix, et je veux parier qu’on irait de Rennes à Nantes sans trouver votre pareille. Pas un regret ! pas une plainte ! saint-Dieu ! c’est à n’y pas croire, et cela me donne bonne espérance pour ce pauvre M. Béchameil qui se meurt d’amour à votre intention.

Alix ne répondit point.

— Mais ne parlons point de cela, poursuivit le maître de la Tremlays. Voilà déjà un point de gagné ; il ne faut pas trop demander à la fois. Saint-Dieu ! moi qui étais dans des transes !… Maintenant, je n’ai garde de craindre. Je vous sais trop fière pour approcher de lui désormais… Vit-on jamais semblable outrecuidance !… et, certes, je suis prêt à faire serment que cette entrevue dont nous parlions tout à l’heure sera la dernière et n’aura point de pendant.

Cette phrase était la partie importante du discours d’Hervé de Vaunoy. Tout le reste n’était qu’une préparation. Aussi en suivit-il l’effet avec inquiétude, attendant une réponse et épiant la signification du moindre geste.

Il oubliait encore une fois que ces soins étaient superflus. Les paroles d’Alix défiaient les interprétations et n’avaient pas besoin de commentaire.

Elle quitta l’appui de la fenêtre auquel son bras s’était appuyé, et montra de son doigt étendu Didier, qui, franchissant la dernière barrière du parc, s’enfonçait sous le couvert.

— Il me faudra attendre son retour, dit-elle.

Vaunoy crut avoir mal compris.

— Son retour !… répéta-t-il machinalement.

— Oui, monsieur. J’ai promis au capitaine Didier de le revoir. Il le faut, je le dois, et je vous demande comme une grâce de vouloir bien n’y point mettre obstacle.

— Mais… commença Vaunoy surpris et intrigué.

— Ne me refusez pas ! dit Alix avec une chaleur soudaine. Je ne vous ai jamais désobéi, et Dieu m’est témoin que je souffrirais à le faire. — De sorte que, mademoiselle, si je vous déniais mon consentement, vous me désobéiriez ?

Alix courba la tête en silence.

— À merveille ! reprit Vaunoy, dont le dépit hargneux ne ressemblait en rien à la dignité d’un père offensé, je suis au moins prévenu d’avance !… — Et m’esy-il permis de vous demander quelle communication si importante peut exiger le rapprochement de mademoiselle de Vaunoy et du capitaine Didier ?