Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/586

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même approximativement, le nombre des assistants, et l’aspect de cette cohue faisait naître l’idée de l’indéfini. Les derniers rangs, en effet, disparaissant à demi dans l’ombre, semblaient se prolonger jusqu’à perte de vue ; et, lorsqu’un mouvement fortuit ou l’étincellement d’une torche agrandissait le cercle de lumière, on voyait surgir de tous côtés de nouvelles figures de buveurs ou de fumeurs.

Or, tous ces buveurs et fumeurs étaient des Loups, honnêtes artisans de la forêt, qui, nous en sommes certains, possédaient au grand jour de fort débonnaires physionomies ; mais la lueur sanglante des torches mettait à leurs traits une expression de férocité sauvage. S’ils étaient bons, ils n’en avaient pas l’air, et leur réunion eût fourni un merveilleux tableau aux jeunes bacheliers qui ont broyé de noir les toiles mélodramatiques de notre soi-disant musée espagnol du Louvre.

Çà et là, dans la foule, Vaunoy reconnaissait quelque visage de vannier ou de sabotier, rencontré souvent dans la forêt. Deux ou trois Loups avaient gardé leurs masques de fourrure ; et, nonobstant le flux perpétuel de la lumière et de l’ombre, Vaunoy crut pouvoir affirmer depuis, que ces Loups obstinément masqués, avaient leurs raisons pour le faire en sa présence : ils portaient la livrée de la Tremlays.

Au milieu de la salle, de la grotte, ou de la caverne (Vaunoy n’apercevant ni les parois, ni la voûte, ne pouvait assigner à ce lieu un nom fort précis), se trouvait une table mieux équarrie que les autres ; autour de cette table siégeaient neuf vieux Loups de grande expérience, qui sans doute étaient les sénateurs de cette bizarre république.

Quant au dictateur, ce fameux Loup blanc, dont parlait tant la renommée, Vaunoy eut beau chercher, il ne put le découvrir à aucun signe extérieur et conclut qu’il était absent.

Au bout de quelques minutes, l’un des vieillards réclama le silence d’un geste, et se tourna vers Vaunoy, qui mettait tous ses efforts à ressaisir son sang-froid ébranlé.

— Qu’es-tu venu faire à la Fosse-aux-Loups ? demanda le vieillard.

Vaunoy prit, comme on dit vulgairement, son courage à deux mains.

— J’y suis venu chercher ce que j’y ai trouvé, répondit-il d’un ton dégagé ; — je voulais voir les Loups.

— C’est une vue qui peut coûter cher, Hervé de Vaunoy… As-tu donc oublié tout le mal que tu nous as fait ?

— Non… mais j’ai compté sur votre bon sens et aussi sur votre misère… que je croyais, je dois le dire, ajouta-t-il moins haut, — plus grande qu’elle ne me paraît l’être en réalité.

— Nous vivons du mieux que nous pouvons, reprit le vieillard ; — on a voulu nous voler notre pain noir et notre petit cidre, nous volons nos voleurs, ce qui nous met à même de manger du pain blanc et de boire de l’eau-de-vie.

Un joyeux et bruyant éclat de rire accueillit ces dernières paroles.

— Bien dit, notre père Toussaint ! cria-t-on de toutes parts.