Aller au contenu

Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/671

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Elle est bien riche, dit-elle avec un gros soupir ; — c’est vrai !

Puis elle ajouta presque aussitôt :

— Mais son père l’aime bien, Martel ! Jamais il ne sut lui rien refuser… et quand elle parle de vous, Lucienne a le cœur si plein et la voix si tremblante !…

Le front de Martel était pâle et son œil se baissait comme s’il eut voulu cacher son émotion croissante.

Bleuette continuait en s’animant :

— Pensez donc, Martel… il en est venu de Rennes, de Vitré, de Fougères. Il en est venu de Saint Malo-de-la-Mer, de partout ! et toujours, elle a dit non. Ils étaient beaux, nobles, riches… elle a dit non, toujours.

Le sang remontait vivement à la joue de Martel, dont la paupière demi-fermée se prenait à trembler.

— Ah ! je le sais, dit encore Bleuette, — votre nom dans sa bouche ressemble à un aveu d’amour. Nous parlions bien souvent de vous, Martel ; car je suis voire sœur, moi, et ceux qui vous aiment, je les chéris… Elle venait presque tous les jours à la ferme avec son beau livre relié d’or comme le livre de ma chanson. Nous nous promenions au pied du rocher, devant la fontaine… Je crois que c’est à cause de vous que mademoiselle Lucienne m’aime tant !

Elle se tut ; Martel attendit un instant.

Puis il releva ses paupières qui étaient humides.

— Merci, Bleuette, merci, murmura-t-il, — si vous saviez combien il y a longtemps que je n’ai senti tant de joie ! C’est un beau rêve sans doute… ce n’est rien qu’un beau rêve… mais parlez-moi d’elle encore afin que je sois heureux quelques minutes de plus…

Le charmant visage de Bleuette disait l’attendrissement de son cœur naïf et bon.

— En vous écoutant, il me semble l’entendre, reprit-elle… que de fois elle m’a dit : Parle-moi de lui, Bleuette !

Le front de Martel s’éclaircissait.

— Parle-moi de lui encore, poursuivit la jeune fille, dis-moi qu’il ne m’a pas oubliée… Dis-moi que dans ce grand Paris une autre ne viendra pas se placer entre lui et mon souvenir.

— Elle disait cela ?… murmura Martel.

— Elle disait cela, répéta Bleuette ; — oh ! et bien d’autres choses encore !… Tous vos petits secrets, elle me les confiait, parce qu’elle savait que je vous aime… Quand je pouvais savoir de vos nouvelles, comme elle était heureuse !

Bleuette s’interrompit et reprit avec tristesse :

— Mais je cessai d’avoir de vos nouvelles. Martel… M. Carhoat chassait sur les garennes du roi… Mon père fut obligé de faire son devoir… vos frères le menacèrent… et quand l’un d’eux me rencontre dans le taillis, je suis forcée de m’enfuir, Martel, car tous les trois ont oublié que je fus leur amie… Tous les trois m’ont insultée comme ils insultent les filles de la forêt.