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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/673

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— Merci, petit père, dit-elle.

Puis les deux jeunes gens revinrent s’asseoir l’un auprès de l’autre.

Mais le cours de leurs idées était rompu ; on ne parla plus d’amour ni de douces choses.

Durant quelques instants ils gardèrent le silence. — Martel avait une question pénible sur la lèvre. Son front soucieux et sombre glaçait le sourire de Bleuette.

— Ma sœur n’est plus à Marlet ? dit-il enfin avec une sorte de brusquerie.

Bleuette tressaillit et garda un silence embarrassé.

Martel répéta sa question et n’obtint pas encore de réponse.

— Bleuette, reprit-il avec prière, — dites-moi tout ce que vous savez… je suis préparé… je m’attends au plus grand de tous les malheurs… et ce me sera une consolation que d’entendre ce triste récit de votre bouche.

— Ne savez-vous donc pas ce qui est arrivé pendant votre absence ? demanda Bleuette.

— Je ne sais rien et je crains tout, répliqua Martel. De vagues rumeurs sont arrivées à moi jusqu’à Paris… Je crus d’abord à la calomnie, et je fis rentrer les paroles dans la gorge du premier qui répéta ces bruits… Un autre vint, Bleuette ! Oh ! que la honte est rude à supporter en plein jour, au milieu de la foule qui vous connaît et qui jouit de votre torture !

Les mains de Martel se joigraient crispées ; des rides se creusaient sur son front, et un rouge vif colorait son visage…

— Tous les jours quelque nouvelle insulte ! poursuivit-il — tous les jours !… le bruit de mon épée qui se croisait semblait appeler d’autres attaques… Un ennemi inconnu avait jeté dans le régiment cette histoire vraie ou fausse… mon nom était foulé aux pieds… mon père, mes frères, ma sœur ! Je vous en prie, Bleuette, ne me cachez rien… dites-moi jusqu’où ma famille est tombée.

Bleuette se recueillit un instant. Une invincible répugnance semblait combattre en elle son désir de satisfaire Martel.

Lorsqu’elle prit enfin la parole, ce fut d’un ton lent et triste.

— On le dit, murmura-t-elle — Lucienne elle-même m’en a parlé.

— Lucienne ! répéta Martel avec amertume.

— Elle aimait bien Laure, vous le savez… poursuivit Bleuette ; — Laure était si belle et son cœur avait tant de douce fierté ! Quelque temps après votre départ, Martel, votre père perdit ses dernières ressources… Jusqu’à cette époque, Laure avait gardé de brillantes parures et les gentilshommes des états la déclaraient la plus belle parmi toutes les belles dames qui ornent les fêtes de M. le lieutenant de roi. On disait en ce temps que c’était à une partie de jeu contre M. de Kérizat que votre père avait perdu ses derniers mille louis… plus tard, on dit que ce même M. de Kérizat entraîna la pauvre Laure au bord du précipice où elle est tombée maintenant…

— C’est donc vrai ! murmura Martel, qui se couvrit le visage de ses mains.