Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/705

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
IX
LA PISTE DE BLEUETTE


Les officiers de la capitainerie restaient seuls à table avec le baron de Penchou et Corentin Jaunin de la Baguenaudays.

Ces deux derniers n’avaient pas compris grand’chose à tout ce qui venait de se passer, mais ils sentaient autour de leur épaisse cervelle comme un vent de mystère, et ils crurent devoir donner à leur physionomie des expressions de circonstance.

Corentin passa ses longs doigts dans le blond fade de ses énormes cheveux ; en même temps il rida son front plat et cligna de l’œil, de manière à faire croire qu’il avait réellement une idée.

Dans le même but, le baron de Penchou frotta son gros nez énergiquement et souffla dans ses joues que rougissait le cidre.

Corentin et lui étaient faits évidemment pour se comprendre.

— Ah ! monsieur, dit Penchou, — voyez-vous bien… Diable !

— Diable ! répliqua le jeune Jaunin de la Baguenaudays, — évidemment… Ah ! monsieur !

Ils se regardèrent pendant quelques secondes, puis Penchou reprit en haussant les épaules :

— Après cela, dit-il, — que voulez-vous, on n’y peut rien !

— Évidemment, répondit Corentin Jaunin de la Baguenaudays, en levant les yeux au plafond, — à la guerre comme à la guerre !…

Ils se serrèrent la main derechef d’un air fatal et allèrent se coucher.

Penchou rêva que la comtesse Anne l’appelait imbécile, et Corentin Jaunin de la Baguenaudays songea que la femme de charge de son père avait les cinquante mille écus de rente de Lucienne.

Ce grand jeune homme blond fut transporté de joie, parce que l’amour de la femme de charge de son père était jusqu’à un certain point à sa portée.

Au bas bout de la table, les veneurs et les officiers continuaient de boire et de causer.