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XV
COUP DE DÉS


Les trois Carhoat étaient des voleurs de grand chemin, comme leur père, et on ne saurait point se figurer une chute plus complète que la leur. Mais ils faisaient le mal tout bonnement sans raffiner. — Ils ignoraient les délicatesses de la honte, les finesses du crime, les gentillesses de l’infamie.

C’étaient de purs et simples bandits, un peu sauvages et capables d’égarer par hasard leur âme fourvoyée, jusqu’à un sentiment d’honneur…

Ils détestaient Kérizat, parce qu’ils le regardaient comme l’auteur de la chute de Laure.

Sans leur père, qui les avait constamment retenus, ils eussent essayé depuis bien longtemps une vengeance qui, malgré leur abaissement actuel, leur semblait un impérieux devoir.

Nous parlons seulement de Philippe et de Laurent, car Prégent ne se cassait pas la tête pour si peu.

La dernière proposition du chevalier les étonna. Elle ne tombait point sous leurs sens. Ils avaient leur genre d’impudeur, mais ce n’était point celui-là. — Ils n’étaient pas assez civilisés pour comprendre tout d’un coup cette charmante infamie.

Prégent saisit l’idée le premier.

Il haussa les épaules avec admiration et partit d’un éclat de rire.

— Est-il bête, ce chevalier ! murmura-t-il.

Nous n’avons pas besoin de rappeler au lecteur que ce mot bête est, chez certaines personnes, l’expression la plus exagérée de l’enthousiasme.

Les deux autres frères gardèrent le silence.

— Messieurs, reprit le chevalier, — mettez si cela vous effarouche, que nous ne jouons point la femme, mais sa dot… C’est un enjeu tout à fait royal… cent mille écus de rentes !

— C’est trop cher ! répondit Laurent.

— Et vous jouez trop bien, ajouta Philippe.