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XVI
LA TOPAZE


La rue Saint-Georges était alors, en concurrence avec la rue des Dames, le quartier fashionnable de Rennes. En sortant de cette voie centrale, messieurs des États n’avaient que la place du Palais à traverser pour s’asseoir sur leurs sièges parlementaires. Pour gagner l’allée circulaire de la Motte ou la longue promenade des remparts, mesdames n’avaient qu’un pas à faire et ne risquaient point de mouiller leurs pieds mignons dans la boue historique de la capitale bretonne.

De nos jours, le fashion rennais a quitté la rue Saint-Georges déshonorée pour remonter la colline et s’asseoir autour de la Motte, dont une lubie municipale assassina récemment les ormes séculaires.

On se dispute une place sur ce terrain privilégié. Les blanches maisons construites par les autorités y regardent d’un œil méprisant et jaloux le granit grisâtre de ces vieux hôtels où il y a de si grands souvenirs.

La demeure de Caradeuc, ce terrible ennemi des jésuites, coudoie la préfecture ; l’évêché touche au comptoir opulent du receveur général. — Ce ne sont partout que demeures nobles ou petits palais pimpants qui ont de la fonte dorée.

Que l’on soit général, avocat en renom, Abeilard de la faculté des lettres, lion du comice agricole, ou femme à la mode, il n’est point permis d’habiter ailleurs…

La rue Saint-Georges, abandonnée, vieillit sans gloire tout près de ces jeunes honneurs. — C’est l’égout de la ville entière. À part les cabarets soldatesques, vous n’y trouveriez que de pauvres chambres d’étudiants, des asiles sans nom, et, à l’angle de la place du Palais, cette maison de mauvais souvenir où un médecin du siècle dernier, qui n’avait pas assez de malades, épousa une pauvre vieille dame pour la soigner trop vite et en hériter plus tôt.

Il était dix heures du matin, à peu près, et c’était le lendemain de cette scène nocturne à laquelle nous avons assisté, dans une salle souterraine de la ferme de Marlet.

Nous franchissons une porte cochère, située au milieu de la rue Saint-Georges