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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/778

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et que les gens du roi n’avaient point osé parcourir. — Mais ces galeries reculées ne gardaient point d’issue. La famine eût fait justice de quiconque s’y serait retiré.

Les Loups étaient partout et n’étaient nulle part. On les chassait à outrance comme leurs homonymes à quatre pattes, et il était à croire que le pays en serait complètement débarrassé sous peu…

Il était cinq heures du soir environ. La route de Saint-Aubin-du-Cormier à Rennes, toute neuve et peu fréquentée encore, était complètement déserte. — Les derniers rayons du soleil se glissaient, obliques, dans le ravin et mettaient de chaudes lueurs parmi les feuillages jaunis des chênes.

Le ravin semblait aussi solitaire que la route. Nul mouvement ne s’y faisait entre les arbres, et il eût été mal aisé d’y deviner la présence d’un être humain.

Trois hommes pourtant s’y cachaient. Laurent de Carhoat, son frère Philippe et Francin Renard étaient tapis dans le creux du grand chêne entre les racines duquel le vieux seigneur de la Tremlays avait caché le prix de ses domaines dans un coffret de fer[1].

Ils attendaient déjà depuis une heure. Tous trois avaient le fusil en bandoulière et le visage de chacun d’eux disparaissait derrière un masque en peau de loup.

Les deux Carhoat étaient assis côte à côte sur un tas de feuilles sèches : Francin Renard se tenait debout, aussi loin d’eux que le permettaient les parois de l’arbre. — Il avait toujours ses culottes ficelées sur ses jambes nues, sa longue veste de futaine en lambeaux et son grand chapeau en éteignoir.

Les Carhoat portaient un costume à peu près analogue : ils étaient vêtus tous les deux en paysans : ils avaient ramené leurs fusils en avant pour pouvoir s’adosser à l’écorce de l’arbre.

— Si ce diable de Talhoët avait pris l’ancienne route, dit Philippe, nous en serions pour nos frais d’attente !

— Ça se pourrait bien, murmura Francin Renard.

— Que le diable t’emporte, oiseau de mauvais augure, s’écria Laurent. — La nouvelle route abrège le chemin de plus d’un quart de lieue. Elle est plus commode et mieux tracée… Il y a dix à parier contre un qu’il y passera.

Francin Renard baissa la tête et répondit d’un ton soumis :

— Ça se pourrait bien.

— Écoutez ! dit Philippe, je parie que le voilà !

On entendit sur la route des pas lointains de chevaux. Les deux frères se levèrent et mirent l’œil à des trous pratiqués dans l’écorce de l’arbre.

Bientôt un cavalier parut sur la route, il se penchait sur le cou de son cheval, et, tout en galopant, il regardait à terre attentivement.

Derrière lui se montrait un piqueur, poussant de son mieux ses chiens découragés et mal menés. — Derrière encore, un cavalier, long, mince et blond se laissait secouer au trot de son cheval et paraissait harassé de fatigue.

  1. Voir la Forêt de Rennes.