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XXI
NOBLE HÉRITAGE


René de Carhoat n’avait point vu le visage de la jeune femme assise au bord de la fontaine. Il n’avait aperçu que sa robe blanche à travers les rameaux à demi dépouillés des grands saules, et le brillant uniforme du soldat qui s’agenouillait à ses pieds.

Il allait se retirer, car ce n’était point là ce qu’il cherchait, lorsqu’un mouvement de la jeune femme lui montra les doux et nobles traits de mademoiselle de Presmes.

Il s’arrêta, et la beauté enfantine de son visage prit une expression de menaçante colère.

— Lucienne ! murmura-t-il. — Lucienne, qui oublie mon pauvre frère Martel !

Il ne savait point être jaloux pour lui-même, et sa douce âme ne gardait point de rancune à l’homme qui lui prenait le cœur de Bleuette, — mais l’amour de Lucienne était à Martel, à Martel absent ! René s’indignait, et le vieux sang breton bouillait pour la première fois dans ses veines.

Il aurait voulu tenir une épée pour venger son frère Martel.

Lucienne cependant rougissait et souriait ; elle était bien belle ! — René ne s’en allait point. Il s’attendrissait à voir le charme naïf et suave qui s’épandait autour d’elle.

Il pensait au sort que réservaient à cette pauvre jeune fille les desseins de son père et de ses frères.

Elle allait être au chevalier de Briant ! à cet homme qui parlait de vol et de meurtre avec un sourire à la lèvre !

Une voix s’élevait au fond du cœur de René pour le pousser à prévenir mademoiselle de Presmes ; mais qui accuserait-il, sinon son père et ses frères dont il avait surpris le secret ?

Son père et ses frères qu’il aimait tant, et qui adoucissaient pour lui jusqu’au sourire la rudesse sauvage de leurs traits !

René ne se sentait pas la force de les dénoncer. — Et d’ailleurs, là, tout près, Lucienne souriait, infidèle.