Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/837

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Laure et lui s’éloignèrent…

René sortit de sa cachette et s’approcha lentement.

Il regarda d’un œil morne la mèche qui brûlait, qui brûlait, et qui allait se raccourcissant toujours. — Ses mains tombaient et se joignaient. Il rêvait…

La mèche brûlait et se raccourcissait.

Un sourire mélancolique vint à la lèvre de l’enfant, qui murmura le nom de Bleuette. — En ce moment des voix rauques s’élevèrent de l’autre côté de la porte : les Carhoat chantaient.

Ils chantaient dans leur langue nationale le gwin hagwad (vin et sang), le chant d’orgie celtique.

Les voix montaient, confuses et avinées, hurlant les vers sanglants de l’hymne barbare.

Petit René regarda la mèche qui était bien courte maintenant, et qui se raccourcissait toujours…

Il s’assit sur la terre et appuya sa tête blonde contre le tonneau de poudre.

Et, tandis que l’orgie hurlait de l’autre côté de la porte, Petit René rappelait à lui, par la pensée, les douces notes du chant de Bleuette…

Et il lui semblait entendre comme en un rêve la belle fille de la forêt prononcer bien tristement :

« En cela les gens du lieu
» Connurent le doigt de Dieu. »

— Bleuette ! ma Bleuette ! murmura-t-il, — tout le bonheur pour vous…

Il souriait un sourire d’ange.

La mèche toucha le trou. La poudre s’enflamma. Le rocher de Marlet se fendit de la base au faîte.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il n’y avait plus qu’un trou noir à la place où s’élevait naguère la ferme de Marlet.

Le rocher s’était affaissé dans la Vanvre qui avait changé son cours. Le choc s’était fait ressentir jusqu’à Presmes et avait jeté bas la ferme de Fontaine aux Perles.

Ce ne fut point le vieux Jean Tual, gruyer de la capitainerie de Liffré, qui la releva, mais bien son gendre, maître Hervé Gastel.

Tout auprès de la ferme relevée, derrière les saules de la fontaine elle-même, on voyait une tombe avec une croix.

Sous la pierre modeste gisaient les seuls corps que l’on eût trouvés après la catastrophe de Marlet.

Les autres cadavres avaient été réduits en pièces ou brûlés.

Auprès de cette tombe, M. le marquis Martel de Carhoat, devenu l’époux de Mademoiselle de Presmes, venait bien souvent s’agenouiller avec Lucienne.

Il y avait sous cette pierre un cœur d’ange et un noble cœur brisé.

La croix portait les noms de René de Garhoat et de Laure…

Bleuette pleurait parfois en lavant son linge à la fontaine.

FIN.