Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Or, Guezevern, mauvaise tête qu’il était, avait bon cœur.

M. le duc de Vendôme, dont les officiers couraient le guet avec le restant de la troupe joyeuse, resta seul et triste au beau milieu de la rue, tandis que son page lançait un grandissime coup de pied dans la porte de la maison d’où sortait le tapage.

M. le duc de Vendôme se serra le ventre à deux mains, et murmura plaintivement :

« Ah ! tête de bœuf ! Bas-Breton mal peigné ! Que voulez-vous tirer d’un pays où ils boivent du cidre au lieu de vin, les malfaiteurs ! »

Au coup de pied donné par Guezevern, la porte de la maison borgne s’ouvrit comme par enchantement ; il vit une demi-douzaine de ribauds, hommes et femmes, qui entouraient une petite fille, maigre et pâle, mais jolie comme les amours.

Il n’eut pas le temps de parler. Un grand drôle, vêtu de cuir, comme un ligueur du dernier règne, saisit l’enfant par la ceinture et la lui jeta à la tête comme un paquet. Guezevern, enfant lui-même, fut presque renversé du choc.

Pendant qu’il reprenait son équilibre, gardant la petite fille dans ses bras, un large éclat de rire retentit à l’intérieur de la maison dont la porte s’était refermée avec fracas.

« Que fais-tu là, tête de bœuf ? demanda de loin le duc de Vendôme.

— Ma foi, mon seigneur, répondit Guezevern, je n’en sais pas plus long que vous. On dirait qu’il me tombe un héritage du ciel, mais ce n’est pas celui de mon grand cousin, le comte de Pardaillan, qui a cent mille écus de rentes !

— Viens ça, traître, que je te donne de ma rapière dans le ventre ! » gémit M. de Vendôme, appuyé contre une borne et se tordant comme une femme en couches.

Il y avait, à l’angle même des deux rues, un lumignon qui brûlait sous une image de la Vierge. Au lieu d’obéir, Guezevern s’approcha du lumignon, éclairant de son mieux le visage de l’enfant qui avait perdu connaissance.

« Mort de moi ! monsieur le duc, s’écria-t-il, on n’a jamais rien vu de si mignon sous le soleil ! Tous vos péchés vous seront remis, si vous donnez asile, en votre hôtel, à ce doux petit ange !

— Dieu me punisse ! pensait le duc ; voici le Bas-Breton qui a ramassé une fille folle dans le ruisseau !

— Lâche-moi cela, païen ! ajouta-t-il, si tu veux garder tes deux oreilles ! »

On recommençait d’entendre la troupe joyeuse qui pourchassait bruyamment quelque gibier de nuit à l’autre bout de la rue Saint-Honoré, vers la Croix-du-Trahoir. Pol vint tout d’un temps sur M. de Vendôme et lui dit d’un ton décidé :