Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/104

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une bonne et ronde fille à la gorge éblouissante, à la bêtise splendide. Elle avait nom la Chantereine. Elle éclatait de rire à chaque mot et hurlait des niaiseries de petit enfant avec des transports d’allégresse. Elle buvait supérieurement et chantait faux à faire plaisir.

Oh ! combien de fois, mes jeunes messieurs, vous l’avez admirée autour des tréteaux qu’enrichit la gloire de Thérésa ! Ne soupçonnez pas même qu’il y ait ici l’ombre d’un anachronisme. Thérésa vivait du temps de la Chantereine, et la Chantereine ne mourra jamais.

Elles sont immortelles, je vous l’affirme de nouveau, et le rire entraînant, communicatif, superbe, le rire adorablement idiot de la Chantereine anime, à l’heure qui sonne, les douze cents Paphos du moderne Paris.

Guezevern savourait la folle chanson de cette belle fille, Guezevern buvait ce sourire éternel et cette banale gaieté, Guezevern était amoureux.

Sur ma parole, amoureux de ce meuble vivant, de ce joujou, de cette chose !

Guezevern ! le mari d’Éliane, qui était cent fois plus belle et qui avait un cœur !

Ce Guezevern pouvait passer, cependant, pour une âme bonne et vaillante. Rien ne lui manquait, ni l’honnêteté, ni l’intelligence, ni le bon sens, même.

Elles ont un attrait, un mordant, un charme ; elles entraînent, comme tout fruit défendu. Voulez-vous mon opinion ? Les fous vont à elles surtout à cause du mal qu’en disent les sages. Le sermon fait l’ivrogne. Criez bien haut que telle plate et insipide boisson, l’absinthe, par exemple, est un poison, la moitié de Paris ne voudra plus d’autre breuvage.

Le repas fut un enchantement. Guezevern n’avait jamais si bien soupé de sa vie. La Chantereine buvait dans son verre ; le vin était exquis ; il se grisa supérieurement.

Et certes, quand on lui proposa de jouer, il répondit :

« Allez au diable ! J’aime mieux boire ! »

Mais la Chantereine éclata de rire, et lui glissa à l’oreille, d’une voix qui se pouvait entendre du dehors :

« Mon chérubin, je veux que tu me gagnes un collier de perles !

— Mort de moi ! s’écria maître Pol, je puis bien te donner un collier de perles sans le gagner ! »

La pensée d’Éliane venait de lui traverser l’esprit par hasard. Éliane lui avait dit :

« Promets-moi que tu ne joueras pas ! »

Et il avait promis.

Il est vrai qu’Éliane avait ajouté :

« Promets-moi que tu ne te laisseras pas entraîner par cet homme. »

Cet homme dont elle ne prononçait jamais le nom, tant elle le détestait : Renaud de Saint-Venant.

Peut-être qu’en ce moment maître Pol comprit pour la première fois le motif de cette aversion : la seule haine qui fût dans le doux cœur d’Éliane.