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« Je tiens ! »

Maître Pol avait la veine. Il mena si rondement cette sixième partie que Renaud devint tout blême. Seulement vous vous souvenez de ce qui arriva à Martin, au fameux Martin de la foire. Comme Martin, et faute d’un pauvre point, maître Pol perdit.

Les jolies couleurs de Saint-Venant remontèrent à ses joues.

La Chantereine suivit le tas d’or et passa honnêtement du côté de M. le baron.

Guezevern resta un peu étourdi.

Ce fut M. le baron qui dit à son tour :

« Double ! »

La somme était grosse. Il y avait de l’émotion autour de la table, et Marion la Perchepré vint elle-même voir ce beau coup.

Guezevern compta de l’œil l’amas de pièces d’or ; on put croire un instant qu’il allait se raccrocher à sa raison chancelante.

Renaud de Saint-Venant lui dit entre haut et bas :

« Ce serait folie. Songez, mon digne ami, que vous êtes un simple intendant !

— Mort de ma chair ! gronda Guezevern, qui vous demande conseil, à vous ? Je tiens !

Il y avait un étrange contraste entre la fièvre qui possédait Guezevern et le calme glacé de son adversaire.

Marion la Perchepré, qui s’y connaissait de longue main, paria trois contre un pour M. le baron.

En effet, ce pauvre Guezevern fut décavé sans marquer un point :

« Double ! » proposa tranquillement M. le baron.

C’était un beau joueur.

Guezevern se leva et passa ses deux mains sur ses yeux éblouis. Son premier soin fut de retourner ses poches, où il y avait un millier de livres.

Le tas d’or, compté avec soin par Renaud de Saint-Venant, représentait juste huit fois cette somme.

« On est parti de vingt-cinq pistoles, dit avec douceur cet excellent compagnon ; la seconde a donné cinquante, la troisième cent, la quatrième deux cents, les deux dernières quatre cents et huit cents pistoles.

— Qui me payera, demanda Chantereine, mon collier et mes pendants d’oreille ?

— Moi, répondit Guezevern, » en lui jetant son dû.

Le rire de la belle fille retentit aussitôt plus éclatant que jamais.

Guezevern était remis tant bien que mal.

« Buvons, dit-il, à moins que monsieur le baron ne soit pressé d’avoir son gain. La partie est finie. »

M. le baron, qui mettait l’or dans sa poche, toucha son feutre courtoisement et répondit :

« Mon gentilhomme, j’attendrai tant que vous voudrez, et tant que vous voudrez vous aurez avec moi votre revanche. »