Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/110

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— Ce gentilhomme, prononça Renaud, d’une voix grave, est M. le baron de Gondrin-Montespan, votre compétiteur pour la succession du comte de Pardaillan. »

Maître Pol resta muet un instant.

« Cela m’a dégrisé, mon compère, dit-il ensuite ; pressons le pas, je vous prie.

— Que voulez-vous faire ? demanda Saint-Venant.

— Je ne veux pas dormir, répondit Guezevern, avec cette dette-là sur le cœur. »

Il marchait déjà à longues enjambées vers la tête du Pont-Neuf.

« Mais, objecta Renaud, qui avait peine à le suivre, vous avez le temps. On a vingt-quatre heures pour payer les dettes de jeu.

— Avec un autre, il se peut, répondit Guezevern ; avec un ennemi, cela brûle… et le baron de Gondrin-Montespan est mon ennemi ! »

Son pas s’allongea encore. Derrière lui, Saint-Venant soufflait ; mais, tout en soufflant, il se frottait les mains.

En arrivant à la porte de l’hôtel de Mercœur, Guezevern lui dit brusquement :

« Mon compère, je ne suis pas en humeur de prolonger la veillée. Je vous prie de me laisser seul, et je vous souhaite la bonne nuit. »

Saint-Venant l’embrassa avec effusion.

« Je donnerais tout ce que je possède au monde pour ne vous avoir point mené en ce lieu maudit, mon digne ami, répliqua-t-il de sa voix la plus douce. Je vous quitte, puisque vous le voulez, vous voici au seuil de votre logis. La nuit porte conseil, vous vous éveillerez tout autre demain matin. J’y songe, s’interrompit-il avant de prendre congé. J’allais manquer, bien malgré moi, au premier devoir de l’hospitalité. S’il vous prenait envie de vous rafraîchir, vous trouverez tout ce qu’il faut dans le placard, à droite de la porte d’entrée. »

Guezevern monta, puis s’enferma à double tour.

Il réfléchissait tout en allumant son flambeau.

Sa pensée, à cette heure, était extraordinairement nette et claire.

Il n’en était plus à se demander pourquoi son Éliane détestait Renaud de Saint-Venant.

Cette aversion c’était son amour même : le grand, le pur amour qu’elle lui avait voué, à lui Pol de Guezevern, cet amour était sorcier et prophète ; cet amour avait deviné les aventures de cette nuit.

« Ne joue pas ! avait dit cet amour et ne te laisse pas entraîner par Renaud de Saint-Venant ! »

Pourquoi l’homme, ou la femme, nous tous tant que nous sommes, pourquoi avons-nous toujours ces sages pensées à l’heure où nous allons faire quelqu’effrayante cabriole dans le pays de l’insanité ?

Car il en est invariablement ainsi. L’heure qui pré-