Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/112

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Et le petit vin de Saint-Venant ressemblait à Saint-Venant lui-même : c’était un traître petit vin.

Guezevern en but si abondamment, sans cesser jamais de réfléchir, qu’il se demanda bientôt pourquoi emprunter, puisque ce baron de malheur lui avait offert sa revanche.

Que pensez-vous de l’argument ?

Du premier coup, Guezevern le trouva péremptoire.

Qu’était-il arrivé ? Guezevern avait gagné cinq parties sur sept. Son malheur avait été de jouer à ce jeu de dupes : quitte ou double. Si toutes les parties avaient eu le même enjeu, cent louis, je suppose, au lieu d’avoir une dette de sept mille livres, Guezevern eût emporté encore six mille livres de bénéfice.

Je suppose que ce calcul est clair pour chacun.

Pour maître Pol, il était l’évidence même.

Aussi, vers la fin de la troisième bouteille, il ouvrit l’armoire où était serrée l’épargne de M. le duc de Vendôme.

« Puisque je voulais emprunter, se dit-il, voici le cas. Demain matin, je remettrai le tout, et ma belle Éliane n’aura pas même eu un instant de chagrin.

Il prit d’abord les sept cents pistoles qu’il devait à M. le baron de Gondrin, et nous ne pouvons pas cacher que, ce faisant, il l’appela « ce coquin de baron, » comme s’il se fût agi du simple Mitraille.

Il prit un huitième rouleau de cent pistoles, pour avoir au moins sa revanche. Sa main n’était pas bien ferme, et ses jambes oscillaient un peu sous le poids de son corps.

Sur le point de fermer l’armoire, il hésita, il but un verre et il médita.

Notre ami Saint-Venant, vous le voyez de reste, avait bien raison : la nuit porte conseil.

Ayant médité, il but encore et il dit :

« Simple que je suis. Avec cent pistoles seulement, je serais obligé encore de jouer quitte ou double. »

Et il replongea ses deux mains dans le sac.

Ceci est une troisième ivresse.

Il était ivre déjà de vin et de philosophie, il devint ivre d’or.

Il prit à même, il prit follement, il prit tout ce qu’il pouvait emporter.

Et, refermant l’armoire à tour de bras, il s’élança au dehors.

La ville dormait, le couvre-feu était sonné depuis longtemps. Quoique maître Pol fût obligé de passer aux abords du Pont-Neuf, il ne rencontra pas l’ombre d’un coupeur de bourse.

Il arriva sain et sauf dans la rue Saint-Avoye.

Tout au fond du cul-de-sac, la maison de Marion la Perchepré était encore ouverte. Et si le lecteur s’est étonné jamais de voir un établissement de si bon goût dans un trou si infect, nous lui dirons que le lieu était merveilleusement choisi : au fond du cul-de-sac Saint-Avoye, on n’entendait jamais le couvre-feu.