Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/122

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« Défunt ! répéta-t-il, en homme qui croit rêver ; le défunt intendant Pol de Guezevern ! »

Il s’interrompit en un cri de joie.

« Par la mort Dieu ! fit-il, on l’a rencontré sur le chemin de la rivière ! Aurais-je réussi au delà de mes espérances ? Serais-je à tout jamais délivré de lui ? »

D’un geste violent et peut-être irréfléchi, il lacéra l’enveloppe, qui contenait les trois lettres de maître Pol et ouvrit celle qui était adressée à Éliane.

Dès les premières lignes, un flux de sang lui monta au visage.

« Par la messe ! gronda-t-il, voilà une aventure ! Le pauvre nigaud a sauté le pas ! nous sommes les maîtres ! Et ma belle Éliane va s’appeler madame de Saint-Venant, si mieux elle n’aime être tout uniment ma maîtresse. Quant à M. le baron de Gondrin, nous compterons, ou que le diable m’emporte ! et il n’héritera pas tout seul !

« Vit-on jamais un âne bâté comme ce Guezevern ! se tuer pour quelques milliers de pistoles ! Sainte croix ! Renaud, mon ami, vous allez avoir de quoi acheter une charge de président, si le cœur vous en dit. Et vous ferez un respectable magistrat, j’en réponds ! Allons ! allons ! divertissons-nous comme il faut et sachons le fond de l’histoire, afin d’arranger nos cartes et de jouer bellement le restant de notre partie ! »

Il s’en alla, tranquillement cette fois, vers la porte d’entrée qu’il ferma à double tour, puis il revint à la table, près de laquelle il s’installa dans un bon fauteuil, les jambes croisées l’une sur l’autre, comme ferait de nos jours, un bourgeois qui va se donner la volupté grande de lire son journal du soir.

La lettre que Guezevern adressait à sa femme était ainsi conçue :

« Madame ma chère femme,

« La présente missive est pour vous faire savoir que je m’en vais mourant d’un mal que nul médecin ne peut guérir. Pendant cinq années j’ai vécu honnêtement et bien, moyennant que j’ai suivi vos bons conseils, reconnaissant comme je le fais, à cette heure, qui est la dernière de ma vie, que vous avez été mon ange gardien, mon bras droit, mon intelligence et ma conscience.

« Vous m’aviez fait promettre de ne point me laisser entraîner par mon ancien compagnon Renaud de Saint-Venant, parrain de notre cher enfant, et de ne point jouer. J’ai manqué à mes deux promesses.

« J’ai fait chose pire, madame et bien-aimée femme, j’ai écouté certaines paroles proférées par ledit écuyer Renaud de Saint-Venant, paroles à double sens, qui n’accusaient certes pas votre vertu, car il aurait eu la tête fendue avant d’avoir achevé son mensonge, mais qui m’ont laissé de la tristesse et du découragement dans le cœur.