Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/124

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La plume avait tremblé en traçant cette dernière ligne, mais la signature de Guezevern se lisait au-dessous, hardiment dessinée.

On eût dit un homme fier qui relève le front en face de la mort, après avoir soulagé sa conscience par le suprême aveu.

Renaud de Saint-Venant essuya ses tempes où il y avait de la sueur.

Ce n’était pas qu’il eût le cœur très-tendre, mais la mâle naïveté de ce dernier adieu avait remué ce qui lui restait de cœur.

« Après tout, se dit-il le pauvre diable a pris le bon parti. Et qui oserait prétendre que je sois cause de ce qui arrive ? Sur ma foi, cela m’a surpris ; je ne m’y attendais pas !

Il rompit le cachet de la seconde lettre, adressée à M. le duc de Vendôme.

Guezevern y disait :

« Mon respecté seigneur,

« Vous m’avez cru un intendant habile et probe et je n’ai jamais été qu’un être inutile, ne sachant point aligner les chiffres. Votre véritable intendant était Mme Éliane, ma femme, qui avait rassemblé pour vous une épargne bien au-dessus de vos espérances. Moi qui n’avais point contribué à former cette épargne, moi qui en ignorais l’existence, je l’ai eue entre les mains un jour et je l’ai dissipée.

« Monseigneur, je ne vous demande point pitié pour moi. Vous trouverez dans l’armoire cent quatre-vingt-cinq mille livres qui restent de cent mille écus à moi confiés par Mme Éliane, ma femme.

« Ayez compassion d’elle et de mon fils. Ma seule joie en quittant ce monde est l’espoir que j’ai en vous. Ma mort sauvera leur vie. »

Ce pauvre Guezevern, au fond de l’eau où il roulait sans doute à cette heure, ne pouvait pas être plus blême que Renaud de Saint-Venant.

« C’est une triste affaire, grommela-t-il, et j’y songerai longtemps. Nous avons joué ensemble, lui et moi, quand nous étions enfants tous deux. Il me défendait contre les autres, c’est vrai, car c’était déjà un petit lion… mais il me battait aussi… et, par la messe ! Mme Éliane sera la femme d’un conseiller au Parlement ! »

Il essaya de rire, mais il ne put.

« Il est mort, prononça-t-il lentement, tandis que ses sourcils se fronçaient malgré lui. Ce n’est pas moi qui l’ai tué. Que Dieu ait son âme. Il s’agit maintenant d’hériter de lui et de conduire prudemment ma barque. Écrirai-je à Mme Éliane, ou irai-je la trouver au château de Vendôme ?

« Au château de Vendôme ! répéta-t-il en tressaillant. Où donc est cette lettre de Mme Éliane que j’apportais tout à l’heure ? Le messager m’a dit qu’elle venait du château de Pardaillan. »