Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/137

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peut-être du coup que cette nouvelle allait porter à la jeune femme.

« Pol de Guezevern est mort. »

Éliane fut frappée, en effet, frappée violemment. Elle recula d’un pas, et fut obligée de saisir le rideau pour ne point tomber à la renverse.

Mais Renaud ayant voulu se mettre sur ses pieds, elle lui dit d’une voix qui glaça le sang dans ses veines :

« À genoux et fais ta prière ! »

Les genoux de Renaud fléchirent malgré lui.

« Je prie Dieu, ma noble dame, s’écria-t-il, je prie Dieu qu’il vous éclaire et vous fasse voir la vérité, puisque mon sort est entre vos mains. Eussé-je des armes, comment me serait-il possible de me défendre contre vous ? J’ai péché, je m’en repens amèrement ; mais, à cette heure qui peut être la dernière de ma vie mortelle, je jure que je n’ai rien fait contre mon ami et compère Pol de Guezevern ; que je sois foudroyé à l’instant même si je mens !

— Tu dois mentir ! murmura Éliane entre ses dents serrées. Tu ne l’as pas frappé, tu n’aurais pas osé ; mais il y a des paroles qui tuent comme le poison. Tu as parlé, il a voulu mourir. »

Elle leva l’épée ; mais elle était femme : l’idée du sang lui fit horreur.

Renaud vit cela, et, loin de triompher ostensiblement, il s’humilia davantage.

« Le ciel m’est témoin, madame, dit-il encore, que je n’aurais point murmuré en recevant le châtiment de votre main. Je vous ai offensée grièvement, et j’ai mérité les plus cruels supplices.

« Mais, en dehors de cet instant de démence, où le transport de mon grand et malheureux amour a envahi mon cerveau comme une ivresse, n’ai-je pas toujours été le fidèle compagnon de votre époux, l’ami dévoué de votre maison ? Je suis le parrain de votre fils unique, madame. Et qui sait si, en m’arrachant la vie, vous n’allez point priver Renaud, mon filleul, d’un tendre tuteur et d’un second père ?

— Silence ! » ordonna pour la seconde fois Éliane.

Puis elle ajouta, en jetant loin d’elle l’épée :

« Je sais bien que je me repentirai de n’avoir point eu la force de vous punir. »

Renaud se traîna jusqu’à elle en rampant sur ses genoux, et baisa dévotement le bas de sa robe.

Éliane le repoussa du pied, et lui dit :

« Rallumez la lampe. »

Il obéit aussitôt.

La lumière, en frappant le visage d’Éliane, éclaira une si mortelle pâleur que Renaud resta stupéfait. On eût dit une belle statue de marbre.

« Est-ce ce soir ? prononça-t-elle à voix basse.

— C’est ce soir, répliqua Renaud.

— C’était lui, » murmura Éliane.

Elle songeait à ce bruit lugubre, le bruit du corps tombant à l’eau.