Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/151

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Désormais, Saint-Venant voulait les employer à un autre usage, et cette fois il était bien sûr que Mme Éliane les remarquerait et les reconnaîtrait.

Quand le mort fut habillé, Ramon demanda ironiquement :

« Mon maître, vous faut-il un porteur ?

— Je serai le porteur, répondit Saint-Venant qui s’enveloppait dans son manteau. Chargez-le sur mes épaules. »

Il était fort, malgré sa frêle apparence, et ne fléchit point sous le fardeau.

« Mon camarade, dit-il, en jetant quelques pièces d’or sur la table, voici qui est par-dessus le marché. Écoute-moi bien : je te défends de me suivre, et tu vas refermer ta porte à la barre derrière moi. Si tu gardes bouche close, au jour de l’an qui vient tu recevras une bonne étrenne. Si tu parles avant ce temps-là, tu auras de mes nouvelles. »

Il sortit. Ramon assujettit en grondant la barre de sa porte.

Après avoir serré son argent, il gagna la chambre où Guezevern, toujours privé de sentiment, était couché sur son lit.

« À ton tour, l’ami ! dit-il en débouchant un flacon de brandevin pour lui en frotter les tempes. Un beau cavalier, sur ma foi ! Peut-être que ce coquin à la parole mielleuse me l’aurait acheté encore plus cher que l’autre. »

Tout en parlant, il soulevait la tête de maître Pol et lui tamponnait énergiquement les narines avec une éponge imbibée d’alcool, à peu près comme on bouchonne un cheval, mais ce fut sans résultat aucun.

« Est-ce que je serais réduit à te porter rue du Fouarre, toi, murmura-t-il. Allons, mon mignon, réveille-toi ! Tu auras à choisir entre les coups de bâton du roi Christian de Danemark et la schlague de l’empereur Ferdinand. Et qui sait si tu ne deviendras pas feld-maréchal sur tes vieux jours ? »

Renaud de Saint-Venant, pendant cela, se dirigeait vers sa maison, où il put rentrer, grâce à l’heure avancée, sans avoir été vu par personne. Il se vêtit à la hâte, étendit un drap sur le cadavre dont il avait préalablement coupé les cheveux à la taille de ceux de maître Pol et mouillé les habits, puis il se rendit à l’hôtellerie où Mme Éliane avait choisi sa retraite.

Minuit avait sonné depuis longtemps. Mme Éliane était seule, assise sur le pied de son lit. Ses deux mains pendaient le long de ses flancs. Sa joue avait la pâleur du marbre.

« Eh bien ? » demanda-t-elle d’un accent froid et bref.

Renaud de Saint-Venant lui fit le conte qu’il voulut.

Elle écouta jusqu’au bout sans l’interrompre. Quand il eut achevé, elle se signa et récita, d’une voix qui