Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/55

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comprends bien que si la reine voulait ouvrir à l’Espagnol les portes de la France, cela ne me regardait pas. Qui s’occupe de la France ? Nous sommes Italiens, Espagnols, Allemands, nous ne sommes pas Français. Il n’y a jamais eu de Français que le feu roi, mon père, qui était Béarnais. Veux-tu savoir par cœur l’Italie ? Regarde ma colique. Elle vient de Florence en directe ligne. Ah ! seigneur Dieu !… Ah !… ah !… Pitié ! »

Il devint livide comme un homme qui va tomber en syncope.

Maître Pol versa dans le verre trente-deux gouttes du breuvage préparé par Mathieu Barnabi : juste le double de ce qu’il fallait pour guérir un cheval.

Et, ouvrant la bouche de son seigneur de vive force, avec le manche d’un couteau, car son dévouement allait jusque-là, il lui entonna loyalement le précieux breuvage.

César de Vendôme, éveillé en sursaut, fit une grimace effroyable, jura toute une poignée de blasphèmes d’un seul coup et resta un instant comme pétrifié.

Puis, sautant sur ses pieds avec fureur, il s’écria d’une voix tonnante :

« Judas ! mécréant ! assassin de ton maître ! m’as-tu empoisonné pour tout de bon ? »

Et il se mit à courir tout autour de la chambre avec une rapidité inouïe.

En courant il disait ou plutôt il vociférait :

« Prenez un intendant honnête homme !!! »

Maître Pol, effrayé, se mit à courir après lui. Le duc était si blême et faisait des écarts si surprenants, que notre Breton avait peur.

Il voulut, à deux ou trois reprises, le saisir à bras-le-corps pour l’empêcher de se casser la tête, mais chaque fois qu’il l’appréhendait ainsi, M. de Vendôme, l’écume à la bouche et les yeux hors de la tête, lui criait d’une voix sonore comme les trompettes qui démolirent les remparts de Jéricho :

« Prenez un intendant honnête homme ! »

Et, s’échappant, il recommençait sa course désordonnée, jurant comme plusieurs centaines de païens.

Certes, maître Pol jurait comme il faut, mais les jurons de M. de Vendôme étaient d’une qualité si supérieure, que maître Pol en restait tout abasourdi.

Mais ce qui l’épouvantait surtout, c’était cette phrase incompréhensible et mille fois répétée :

« Prenez un intendant honnête homme ! »

M. de Vendôme mettait à radoter cette sentence une rage dont rien ne peut donner l’idée.

Caton l’ancien, prononçant à tout bout de champ le fameux delenda Carthago, ne pouvait être plus monotone ni rabâcher plus cruellement que lui.

Comme tout à une fin en ce monde, M. de Vendôme s’arrêta, ayant fait une soixantaine de tours et tomba sur son séant au beau milieu de la chambre.

« Viens ça, dit-il essoufflé qu’il était, et donne-moi