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L’instant d’après, les six chevaux frais partirent au galop, brûlant la route de Paris.

Éliane, restée seule, drapa son fils dans son berceau et revint s’accouder à la fenêtre pour écouter encore le bruit de la course qui allait s’éteignant déjà au lointain.

« Il a promis ! » pensait-elle.

Mais je ne sais pourquoi elle n’était point rassurée.

Elle rentra dans la chambre aux registres qui lui sembla grande et vide.

Elle voulut se remettre au travail ; mais le travail la repoussa.

Elle rêva. Onze heures de nuit sonnèrent au beffroi du château. Il y avait déjà deux heures que son mari était parti.

« Il est loin, se dit-elle, bien loin ! Mon bonheur fuit vers Paris. En reviendra-t-il ? »

Parmi les lettres nombreuses apportées ce soir, et dont plusieurs restaient encore scellées, il y en eut une qui frappa en ce moment son regard.

C’était une large enveloppe de parchemin, fermée, selon l’ancienne mode, à l’aide de fils de soie, disposés en lacs et réunis par un cachet de grande taille.

Elle se rapprocha de la table, parce que de loin elle ne pouvait déchiffrer les armoiries.

Les armoiries étaient celles du vieux comte de Pardaillan.

Nous l’avons dit : Éliane était ambitieuse.

Non point pour elle peut-être. Elle était ambitieuse pour son mari et surtout pour son fils, ce hardi chérubin qui venait de menacer maître Pol, parce que maître Pol faisait pleurer sa mère.

Malgré sa préoccupation actuelle, si éloignée de tout ce qui ne se rapportait point au départ de Guezevern, Éliane rompit avec empressement le cachet qui fermait la dépêche du comte de Pardaillan.

Dès longtemps, elle avait noué avec le riche parent de son mari un commerce de lettres qui était devenu peu à peu fort actif. Le comte de Pardaillan, sans doute par une curiosité de vieillard, avait voulu connaître sa propre histoire à elle, Éliane. Depuis qu’il avait reçu la réponse franche et détaillée de sa nièce, celle-ci croyait voir dans ses lettres un intérêt plus vif et qui allait jusqu’à la tendresse.

Néanmoins, le vieux comte n’avait jamais engagé maître Pol ni Éliane à venir au château de Pardaillan.

Quelque chose semblait le retenir, et malgré la finesse déliée de son esprit, Éliane en était encore à deviner la nature de ce mystère.

C’était de là, elle le savait bien, que, dans un temps très-éloigné, selon toute apparence, la fortune devait venir.

La fortune et l’éclat, car cette fortune comportait un titre de comte.

Et il n’est pas besoin d’apprendre au lecteur qu’à l’époque dont nous parlons, il n’y avait ni comtes ni vicom-