Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/87

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Saint-Venant ne le laissa point poursuivre. Il leva ses deux bras vers le ciel en homme profondément scandalisé.

« Une auberge ! répéta-t-il. Pol de Guezevern à l’auberge ! à l’auberge l’intendant de César-Monsieur ! Par la messe ! vous n’y songez pas, mon digne ami ! En attendant qu’on vous prépare un quartier convenable, je vous offre de grand cœur mon pauvre logis.

— N’acceptez pas ! conseilla Mitraille par derrière.

— C’est que… dit Guezevern avec embarras, je suis chargé de finances. J’apporte avec moi l’épargne de M. le duc.

— Ouais ! fit Renaud, qui se mit franchement à rire. Ce sont donc de belles et bonnes pistoles qui courbent les épaules de ces honnêtes garçons ? Je vous fais mon compliment, maître Pol ! L’épargne de M. le duc a l’air d’être dodue ! Eh bien ! eh bien ! on peut arranger la chose ; le fait certain, c’est que nous ne pouvons ainsi causer dans le corridor. Venez chez moi, mon digne compagnon, ou plutôt chez vous, car je ne vous offre plus de partager. Je suis toujours « ce singe de Saint-Venant, » prudent comme un renard, et je ne me soucie guère de prendre une part de votre responsabilité. L’argent me fait peur, croyez-vous cela ? l’argent qui n’est pas à moi, et je ne dormirais pas si je couchais près de vos cent mille, deux cent mille…

— Trois cent mille livres, déclara Guezevern.

— De vos trois cent mille livres, acheva Saint-Venant, pendant que Mitraille grommelait à part lui :

— Maître Pol peut bien être un intendant honnête homme, mais il n’a pas inventé la poudre !

— Or donc, reprit Saint-Tenant, qui passa son bras sous celui de Guezevern, suivez-moi, mes garçons. Il y a chez moi une belle armoire dont je donnerai les clefs à mon digne ami, ainsi que celle de la porte, et comme cela, il sera chez lui aussi bien que le roi au Louvre. Quant à moi, n’ayez point souci : je suis toujours le même bon vivant, aimé de chacun à la cour. « Avenant comme Saint-Venant ! » disait ce pauvre M. de Baradas, au temps de sa fortune. On disait de lui, vous savez : « Barrabas et Baradas, » quoique, certes, il ne fût point un larron. Pour conclure, je coucherai chez un de mes amis, et je n’aurai, Dieu merci, que l’embarras du choix. »

Il prit les devants et gagna la partie de l’hôtel où était son logis. Maître Pol et son escorte le suivirent. Ce coquin de Mitraille essaya bien de couler quelques objections à l’oreille de maître Pol, mais celui-ci refusa de l’entendre.

Il se disait :

« Paris entier ne contient pas un plus agréable compagnon que mon ami Renaud. Pourquoi diable mon Éliane l’a-t-elle pris en grippe ? Pourquoi ? »

Est-ce qu’on peut jamais savoir avec les dames ?