Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/96

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Saint-Venant haussa franchement les épaules.

« Est-ce une chose contre l’honneur, demanda-t-il, que d’aller souper, ce soir, rue de Sainte-Avoye, chez Marion la Perchepré ?

— Non certes.

— Est-ce une chose contre l’honneur d’y arriver les poches pleines de ces pistoles que vous avez prudemment serrées dans votre tiroir ?

— Assurément, non.

— Est-ce une chose contre l’honneur que d’engager, après souper, une partie de dés ou de cartes avec un cadet de bonne maison, ayant, comme vous, la bourse bien garnie !

— Le Breton ?

— Le Breton… et que de lui gagner un millier de louis avant qu’il aille se coucher ?

— Mons Renaud, dit Gondrin, les chances du jeu sont incertaines.

— Vous êtes en veine, monsieur le baron.

— Je puis jouer, je ne puis promettre de gagner. »

Saint-Venant se leva d’un brusque mouvement. Sa figure n’était plus la même, ou plutôt sa physionomie avait subi une transformation complète.

Son regard qui choqua celui de Gondrin était dur et presque impérieux.

« Écoutez-moi bien, monsieur le baron, prononça-t-il d’une voix sèche et brève. On ne saurait trop s’expliquer en affaires. Je vous ai dit que je ne travaillais pas pour vous seulement. La besogne qui concerne vos intérêts a été faite par moi et bien faite. Le travail qui regarde mes intérêts à moi doit être fait par vous et bien fait. N’estimez-vous point que les domaines de M. le comte de Pardaillan peuvent être évalués à cent mille livres de revenus ?

— Si fait, au bas mot.

— Et pensez-vous que son épargne soit beaucoup au-dessous d’un million de livres ?

— Il vivait modestement et ne quittait point ses terres. Son épargne doit dépasser un million de livres.

— De Paris a Pardaillan, poursuivit Saint-Venant, pour un bon coureur, il n’y a guère que vingt heures de chevauchée.

— C’est tout au plus, dit Gondrin. J’ai fait la route, du lever au coucher du soleil, en été.

— Eh bien ! M le baron, cartes sur table entre nous, s’il vous plaît. Pour que vous ayez votre héritage, il faut que moi j’aie ma vengeance. Sous le rapport de ma récompense en argent, nous compterons à mon loisir. Il s’agit aujourd’hui d’autre chose. Voici mon dernier mot : Si mon excellent compagnon Pol de Guezevern, intendant de M, de Vendôme, n’a pas vidé sa bourse dans la vôtre, aujourd’hui, et s’il ne vous doit pas, sur sa parole, aux environs d’un millier de pistoles en rentrant, ce soir, à mon logis, que je lui ai fraternellement prêté, demain matin, à la belle heure,