Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/142

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la foule, et qu’elle donnait son âme à cette rêverie que souffle la solitude, on aurait pu voir son grand œil bleu s’animer sous les cils à demi-baissés de sa paupière. Sa charmante tête, alors, devenait sérieuse, ses lèvres se rejoignaient et cachaient l’éblouissant émail de ses dents ; la ligne de ses sourcils, si noire et si pure qu’on l’aurait pu croire tracée par le pinceau d’un peintre habile, s’affermissait et tendait la courbe hardie de son arc ; tout son visage, en un mot, dépouillant l’indécise gentillesse des premières années, revêtait la beauté d’un autre âge.

En Bretagne, où tout est matière à superstitieux pressentiments, ce nom de Sainte et la précoce mélancolie qui assombrissait aussi parfois, sans motif, ce radieux visage d’enfant, semblaient un présage de mort prochaine. Quand elle passait, les paysans se découvraient, et les femmes tiraient leur plus belle révérence.

— Bonjour, not’demoiselle ! disaient-ils.

Puis se retournant, ils regardaient avec une naïve admiration la légèreté de sa démarche, et ajoutaient, en se signant dévotement :

— Dieu la bénisse ! Ce sera bientôt un ange de plus dans le ciel.

En attendant, c’était un ange sur la terre, Il n’y avait pas dans tout le bourg de pauvre cabane dont elle n’eût plus d’une fois passé le seuil. Elle allait partout porter aide et consolation. La souffrance semblait fuir à l’aspect de son frais et doux visage, et les cris de douleur se changeaient, quand elle apparaissait, en murmures d’allégresse et de bénédiction.

Sainte avait une amie : c’était la fille du ci-devant bedeau de Saint-Yon : Marie Brand. Marie, aussi belle, peut-être, que sa compagne, avait un bon cœur et une mauvaise tête. Elle était fière outre mesure, ce qui eût semblé bien ridicule chez la fille d’un pauvre paysan, si Marie, spirituelle et parlant comme on parle