Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/186

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son père combattait, en qualité de volontaire, dans les rangs des républicains ? Le hasard ne pouvait-il pas les rapprocher dans la mêlée ?

À cette cruelle idée, Sainte, tremblant de tous ses membres, se sentait mourir ; et, comme il arrive dans ces occasions, plus l’idée était terrible plus elle était tenace, obsédante, tyrannique. Impossible de la fuir ou de la chasser.

La nuit était venue. Sainte, assise près de sa lampe, la joue pâle, les yeux fixes et mornes, voyait sans cesse devant elle une effrayante vision, et ne songeait point à dormir. Les heures de la nuit passèrent lentement, l’une après l’autre ; la jeune fille veillait toujours.

Enfin, les premières lueurs du matin firent pâlir les rayons de la lampe. Sainte, exténuée de fatigue, engourdie par l’angoisse, ferma les yeux, et le sommeil vint la surprendre.

Elle dormit bien longtemps. Depuis plus de six heures, le soleil avait franchi la ligne de l’horizon, et répandait à flots sa lumière. Sainte dormait encore.

Mais ce sommeil fiévreux, plein de tressaillements et de rêves, n’était point de ceux qui reposent. Sainte voyait passer devant ses yeux des images terribles et grotesques à la fois. Le cauchemar oppressait sa poitrine. Des voix lugubres criaient des plaintes à son oreille, et, sous ses pieds, grouillait une eau impure où il y avait du sang. Puis son rêve prit un enchaînement logique et affecta les allures de la réalité, alors ce fut horrible.

Sainte se voyait sur la lande, non loin de ce sauvage amphithéâtre que nos lecteurs connaissent déjà sous le nom de Trou-aux-Biches, Elle entendait çà et là des coups de feu derrière les ajoncs, mais elle n’apercevait rien.

Tout à coup, au détour de l’un des mille sentiers qui marbrent la lande, elle vit deux hommes arrêtés face à face.