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Il se rapprocha de l’étroite fenêtre et ferma les yeux comme pour recueillir ses sens ébranlés.

Puis il regarda de nouveau.

Involontairement, car l’homme ne se sépare jamais de son métier, M. Chanut l’examinait avec tout le soin professionnel.

Pour lui, la détresse de Blunt s’expliquait seulement par ce fait que le juge, qui était aussi le bourreau, allait voir ici pour la première fois le visage inconnu de celle qu’il avait sans doute déjà condamnée.

Pour lui encore la véritable surprise commença au moment précis où capitaine Blunt déchiffrait enfin le portrait.

M. Chanut attendait un éclair de haine, une explosion.

Mais rien de pareil ne se produisit.

Ce qu’il vit ne se peut pas dire en un seul mot : sur les traits énergiques de Blunt, plusieurs sentiments s’entrechoquèrent : de l’amour, de la douleur, de l’épouvante et de la stupéfaction.

Ses yeux ne pouvaient plus se détacher de l’ivoire.

Il murmura deux noms, mais si bas ! M. Chanut crut entendre « Laure » et « Marie. »

Puis les paupières de Blunt se mirent à battre. L’éblouissement le reprenait. Il se laissa choir sur la paillasse, les deux coudes aux genoux, la tête entre ses mains. Au bout d’un moment, tout son corps secoué frémit. M. Chanut entendit qu’il sanglotait.

Quand Laurent de Tréglave se redressa, son visage était couvert de pâleur, mais ses yeux n’avaient plus de larmes.