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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome I.djvu/203

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Et quelle était donc cette angoisse qui pouvait le saisir ainsi au moment de retrouver Julie ?

Il y avait alors à Paris, et bien près de là, des quartiers infects, des quartiers infâmes ; il y a encore à Paris des zones lugubres où la misère couvre le crime. Et, certes, cette rue de la Sourdière, où je n’ai jamais pu passer sans avoir le frisson, n’est ni infâme, ni précisément infecte, ni misérable, ni criminelle. Elle est terrible tout uniment, terrible de froid, d’abandon, de silence. C’est comme une oasis de la mort, au milieu des exubérantes vitalités qui l’entourent. Il y a là de très beaux hôtels perclus, des jardins qui moisissent ; le soleil passe au-dessus sans y entrer, et chaque fois qu’une voiture égarée cahote sur son pavé, qui a cent ans, et qui est tout neuf, des créatures étranges, penchées à de mélancoliques balcons, regardent avec des étonnements chinois cette chose qui se meut et qui fait du bruit. La voiture passée, les fenêtres se referment ; il y en a pour longtemps ; les araignées savent cela et raccommodent, pleines de confiance, leurs toiles, qui ne seront pas dérangées avant six mois.

Son nom lui va bien ; elle est muette et sourde. Elle ne vient de nulle part, elle ne mène à rien. Entre les deux rangs de ses maisons mornes, le ciel lui-même est en deuil et s’ennuie.

André n’était pas de Paris. Cette prodigieuse désolation n’est bien sentie que par les Parisiens. Ce ne fut donc pas le désespérant aspect de cette nécropole qui le fit reculer, mais il recula. Il eût fallu un peu de calme, c’est vrai, mais de calme riant, pour lui donner courage.

Il recula et se replongea tout peureux dans les fracas de la rue Saint-Honoré.