Aller au contenu

Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome I.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’on peut ainsi dire, et la question mystique se posait en sa conscience avec une extraordinaire netteté. Il y avait d’un côté sa haine, de l’autre son amour. Au point de vue humain, ces deux sentiments se seraient confondus, car c’était pour l’amour de sa femme qu’André haïssait surtout le ténébreux agent de sa chute : cet homme était l’assassin de toutes ses belles joies d’amour ; cet homme avait arraché aux yeux de Julie leurs premières larmes ; cet homme, pour les deux époux-amants, s’appelait la séparation et l’exil. Mais, au point de vue religieux, ces subtils mélanges n’existent pas ; il y a le mal et il y a le bien, séparés profondément, parce que l’égoïsme ne leur sert plus de trait d’union. Il faut choisir.

Et André choisissait, laborieusement, douloureusement.

L’espoir de se venger avait en lui déjà de terribles racines ; c’était une part de sa vie : pardonner lui sembla d’abord quelque chose d’impossible et d’impie.

Mais la prière lui criait comme la voix d’un maître : foule aux pieds ta haine, Dieu te rendra ton amour !

L’église, tout à l’heure déserte, s’emplissait cependant. Il y avait un grand mouvement du côté de la sacristie, et les cierges s’allumaient à l’autel.

André ne prenait pas garde.

La fatigue des jours précédents l’affaissait. Il croyait méditer encore, et déjà un voile flottait autour de sa pensée.

Le travail de la réflexion se faisait rêve peu à peu.

Il voyait la tête charmante de Julie, dont les beaux yeux souriants l’appelaient. C’était bien son amour. Entre elle et lui, un abîme se creusait qui était sa haine.

Ainsi se symbolisait la loi de la prière. Il implorait