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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome I.djvu/261

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« Ça fera tout de même plaisir à madame, en place du brochet dans les quatorze livres.

— Fi donc ! s’écria M. Champion indigné, ai-je l’air d’un homme qui rapporte de la friture à la maison ?

— Oh ! non, repartit le voisin, jamais.

— Je vous achète vos animalcules pour amorcer mes lignes. Combien ? »

Le mouchoir fut ouvert et les goujons argentés brillèrent sur l’herbe aux derniers rayons du soleil. M. Champion, malgré lui, les couvrait d’un regard de concupiscence. On entendait déjà distinctement le galop de l’attelage.

— Un sou pièce, dit le voisin, à cause de madame.

— Un franc le tout, » offrit M. Champion.

Le voisin allait se débattre, lorsque la tête des chevaux parut au sommet de la montée du pont. Il tendit la main vivement et arracha plutôt qu’il ne prit la pièce de vingt sous entre l’index et le pouce de M. Champion. Sans ajouter un mot, il ramassa son mouchoir, laissant les goujons éparpillés sur l’herbe, et s’élança dans le champ de luzerne qui s’étendait entre le chemin de halage et la forêt. Il était temps, si, comme vous l’eussiez jugé vraisemblable, l’homme au tablier de pharmacien avait intérêt à éviter la rencontre du bateau. Les chevaux, lancés à pleine course, arrivaient sur le pêcheur de brochets, occupé à colliger son butin, et quelques goujons restaient épars sur la voie au moment où il s’accroupit pour laisser passer la corde.

« Oh ! hé ! monsieur Champion ! cria le capitaine ; toujours solide au poste ? avons-nous fait bonne pêche ?

— Assez, assez, monsieur Patu, nonobstant l’effroi que ce nouveau mode de navigation répand parmi les habitants de l’onde. »