Aller au contenu

Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome I.djvu/283

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

eût fait la gloire d’un rapin, et sa barbe se hérissait comme un paquet de broussailles. Au milieu de ce double fouillis, sa figure, douée d’une étrange gravité, surprenait le regard.

Dès qu’on faisait abstraction de l’infirmité lamentable qui le coupait en deux et parquait la vie dans son buste, Trois-Pattes n’avait rien, au demeurant, qui pût inspirer le dégoût, ni même la pitié. Un perruquier eût fait de lui, rien qu’en fauchant ses cheveux et sa barbe, une honnête moitié de bourgeois décent, tranquille et bien nourri. C’était un monstre, il est vrai, mais un monstre mitigé, tel qu’il convient d’être aux monstres de la forêt la plus civilisée de l’univers. Pour tout dire, les petits enfants du quartier l’aimaient, parce qu’il souriait parfois et qu’il y avait je ne sais quelle attrayante bonté dans la mélancolie de son sourire.

Au physique, M. le baron Schwartz était un ancien maigre ayant conquis de l’embonpoint. On les reconnaît au premier coup d’œil ; la prospérité les rembourre sans effacer de longtemps l’anguleux dessin de leur primitive architecture. Ils ont le ventre pointu. Quand la graisse, symbole vengeur de la victoire, a submergé tout à fait l’originalité de leur charpente, le bonheur les étouffe, et il faut les abattre comme les bœufs du carnaval.

Ils sentent cela ; ils combattent avec énergie l’épaisseur envahissante. J’en sais qui volontiers se mettraient au feu pour fondre. Voici un grand secret que je vais leur vendre : il n’y a point de soldats obèses.

L’exercice et le pain de munition : là est le salut.

Le baron Schwartz était un petit homme gras, mais encore aigu sous certains aspects. Les vrais Schwartz de Guebwiller résistent mieux que les autres vainqueurs. Vers trente ans, quand ils sont bien sages, ils arrivent