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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/148

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Tout le monde sait quelle étonnante subtilité de sens se mêle parfois aux impuissances de la dernière heure. Au moment même où la jeune femme passait le seuil de la porte d’entrée, le moribond se dit :

« Voici Fanchette qui vient… Je savais bien que Fanchette allait venir ! »

Sur ces traits flétris, il y eut presque un sourire.

Mais ces lucidités passent comme des éclairs. L’instant d’après, le moribond divaguait tout doucement, parlant affaires, calculs, voyages. La jeune femme était déjà près de lui, debout et le contemplant avec une indéfinissable expression, qu’il n’avait pas encore conscience de sa présence.

Indéfinissable est le mot, car le regard de la nouvelle venue trahissait à la fois une curiosité presque sauvage, une compassion involontaire, les vagues reliques d’une tendresse qui semblait remonter vers le passé, et de l’horreur.

Pendant qu’elle se taisait, perdue dans sa méditation, les lèvres du mourant s’entr’ouvrirent par une sorte de mécanisme dur et sec.

« Lequel est le maître, prononça-t-il très distinctement : toi ou moi, L’Amitié ? Toute la question est là… »

Puis, d’une voix moins assurée :

« La poire est mûre dans cette maison Schwartz… As-tu la planche des billets ? Ce sera ma dernière affaire… »

La fin de la phrase resta en dedans de ses lèvres.

Celle qu’on appelait la comtesse lui mit la main sur le front, et le contact de cette chair morte la fit frissonner. Elle retira ses doigts comme si elle eût touché le froid d’un serpent.

« Est-ce toi, enfin, Toulonnais-L’Amitié ? demanda