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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/150

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mère savait tout ce que tu sais, et pourtant elle allait à l’église. Elle est morte les mains jointes. Nous avons de la religion ; nous sommes une secte comme les Thugs de l’Inde. Tu vois bien que je meurs tranquille. Je n’ai jamais insulté Dieu, moi, et j’ai vu, pendant ma longue vie, tous les hommes, tous, les petits, les moyens, les grands, voler, piller, assassiner, selon diverses formules qui déguisent, il est vrai, le vol, le pillage et l’assassinat. Veux-tu me dire, fillette, lequel vaut mieux du Thug, qui étrangle l’Anglais, marchand d’opium ; ou de l’Anglais, marchand d’opium, qui empoisonne le Thug ? L’un est un monstre pourtant, aux yeux abêtis de la foule, et l’autre est un négociant d’honneur, tant qu’il n’a pas fait banqueroute. Chez nous on ne vend pas d’opium ; mais on fait pis, d’un bout à l’autre de la forêt parisienne. J’ai bien vécu, puisque j’ai vécu plus de quatre-vingts ans, riche, honoré, tranquille. Dans le commerce, la banqueroute seule force la loi à sortir du fourreau. Je n’ai jamais fait banqueroute, et la loi ne me connaît pas. De quoi te plains-tu, fillette orgueilleuse et ingrate ? »

Ces paroles étaient prononcées couramment et même avec une certaine énergie. Sa tête avait viré sur l’oreiller, de sorte que ses yeux caves braquaient un regard fixe du côté de la comtesse. Les paupières de celle-ci étaient baissées et ses sourcils contractés. Elle répondit :

« Je ne vous ai jamais fait de reproches, grand-père.

— Non, mais tu as souffert ! s’écria le malade, qui reprenait vie au feu de je ne sais quel passionné caprice. C’est un reproche, cela ! Écoute, Fanchette, tu seras riche ! Toulonnais t’accuse d’être avec nos ennemis ;