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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/228

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des gens, croyez-moi, des gens paisibles qui ne vous connaissent ni d’Ève ni d’Adam, applaudissent des pieds et des mains son orgie, car vous n’êtes pas aimés, vous autres millions, Jean-Baptiste ! Dites le contraire, je vous en défie ! »

M. Schwartz avait l’œil fixe et le front humide.

« Vous n’êtes pas aimés, poursuivit M. Lecoq dont la voix incisive et sèche enlevait un copeau à chaque parole comme la hache d’un charpentier. Les petits vous regardent avec défiance, s’étonnant que vos bras croisés puissent gagner de si insensés salaires, les grands s’impatientent de voir si près de leurs épaules vos têtes mal décrassées. Les timides ont peur de vous, parce que vous défiez et provoquez les passions mauvaises, comme ces sébiles insolentes qui raillent les affamés derrière les carreaux des changeurs ; les forts vous méprisent, parce que vos sacoches amoncelées ne vous servent à rien de grand. L’or, pour vous, maniaques de la cupidité, n’est qu’un moyen de gagner de l’or. Il est tel d’entre vous, malade de cette hystérie des avares, qui essaya un dernier coup de bourse en suant son agonie. La misère vous maudirait alors même que vous seriez bienfaisants. La richesse territoriale, la vraie richesse, s’indigne du bruit scandaleux que font vos écus. Les honnêtes gens vous jugent, avec une sévérité aveugle et injuste, car peut-être êtes-vous souverainement utiles à la fortune publique ; mais vous ne payez pas d’impôts, et ceux que l’impôt écrase vous abhorrent. Enfin, les coquins eux-mêmes, complétant l’unanimité, voient en vous des concurrents dangereux, des supérieurs, si vous voulez, et vous gardent la vitriolique rancune des confrères. Aussi, monsieur le baron Schwartz, sauf moi, Lecoq, qui ai mes raisons pour vous soutenir dans une certaine mesure, et qui ne