Aller au contenu

Page:Féval - Les Nuits de Paris - 1880, volumes 1 et 2.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
10
LES NUITS DE PARIS.

— Cet homme blasphème !… murmura le prêtre.

— Vieillard ! s’écria le centarque en riant ; — nettoie le vert-de-gris de ta serpe… c’est bien assez d’égorger les gens sans les empoisonner…

— Mais riez donc, Gaulois stupides ! s’interrompit-il ; — vous voyez bien que je viens de faire une plaisanterie !

Thual couvrait de sa main robuste la bouche du pauvre Ar-Bel qui se débattait en frémissant.

Le batelier s’était penché vers lui et lui avait dit à l’oreille :

— Patience, enfant !… Hommes et dieux, nous nous vengerons !

— Or ça, reprit encore le Romain dont le regard était tombé sur Thual ; — or ça, vieux nocher de Lutèce, je te reconnais… c’est à moi que ta barque est échue en partage… Elle est bonne, ta barque !

— Oui, dit Thual sans s’émouvoir, — ma barque est bonne.

— Mais il y manque un aviron, continua Corvinus, — et je crois que tu l’as sur l’épaule.

— Oui, répondit Thual ; — je l’ai sur l’épaule.

— Donne-le moi.

— Volontiers.

Quelques-uns crurent que le vieux Thual allait le lui donner en effet, non dans la main, mais sur le crâne.

Ceux-là se trompaient.

Thual tendit paisiblement son aviron au centarque qui s’en empara.

— C’était tout ce qui me restait, dit-il, — et ce n’était pas juste, puisque tu as déjà ma cabane, ma barque et mon autre aviron.

Le centarque se mit à rire.

— Tu es un bon Gaulois, vieux nocher, répliqua-t-il ; — je trouve que tu raisonnes bien… Touche-là !