Corvinus prit cette pose commune à tout acteur qui va faire un récit important.
— À peine nous sortions des portes de Lutèce, dit-il, — il était sur son coursier… ses gardes affligés imitaient son silence, autour de lui rangés…
— Mais, interrompit Œlian, il est ici… il n’a pas quitté la forteresse.
— Hélas ! vous ignorez donc tout ? s’écria Corvinus ; — la légion est partie depuis deux heures.
C’était justement lui qui avait été chargé de prévenir Œlian et Mysœis au moment du départ.
L’esclave et l’affranchi baissèrent la tête. — Corvinus poursuivit :
— À un mille du pont de bateaux, les ennemis nous attendaient dans ces halliers profonds qui cachent la base du mont de Mercure… Ils étaient là tous, formant une armée innombrable : les Sénones, les Meldes, les Parisiens, les Silvanectes, les Trévères, les Turones, — ceux de la Loire et ceux de la Meuse, — ceux du Rhône et ceux du Rhin… les Tectosages du midi, les Belges du nord… tous, tous, commandés parle grand chef Camulogène… Ils ont enveloppé la légion à la faveur de la nuit. La légion n’est plus. Les hastaires vaillants, les triaires vieillis dans les combats, les princes pleins d’espérance et de jeunesse, — les patriciens sur leurs chars, les chevaliers romains sur leurs nobles montures, — tous morts !
— Morts ! répétèrent machinalement l’affranchi et l’esclave.
La pensée de douter ne leur venait même pas.
Car c’eût été de la part du centarque une audace si folle !
Supposer faussement la perte d’une légion commandée par César !
— Morts, reprit Corvinus, — écrasés par le nombre, assassinés dans la nuit, égorgés comme des victimes dévouées…
— Mais César ?…