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LES CONTES DE NOS PÈRES.

Les trois seigneurs, transportés d’une fort légitime colère, avaient appelé aux armes leurs vassaux ; mais ils étaient pauvres et couverts de haillons : leurs vassaux ne les voulurent point reconnaître. En sorte que, repoussés pareillement, ils se rencontrèrent au moment où chacun d’eux venait réclamer l’aide du comte Addel, qui peut-être, et c’était leur seul espoir, avait été moins malheureux.

Là encore, ils devaient trouver Lucifer.

— Sainte croix ! s’écria Malgagnes d’un ton moitié dolent, moitié courroucé ; — ce diable de juif est sur terre pour le châtiment de nos péchés… J’ai faim !

— J’ai soif ! repartit Mauron.

— J’ai sommeil ! ajouta le vieux Hervé de Lohéac.

Un strident et cacophonique éclat de rire se fit entendre à leurs pieds. On eût dit le discordant produit de la gaieté moqueuse de trois vieilles femmes.

Les trois barons s’arrêtèrent étonnés. Tout en devisant et se lamentant, ils avaient descendu au hasard la colline, et ils se trouvaient alors en un lieu sombre et désert, au plus épais des noirs taillis du Val.

— Mes voisins et amis, demanda Malgagnes à voix basse, avez-vous entendu ?

— Oui, répondirent les deux autres.

— Qu’est-ce cela, je vous prie ?

— Je n’en sais rien, répliqua en bâillant le vieux seigneur de Lohéac ; — j’ai sommeil.

— J’ai soif ! soupira Martin Mortemer.

Et Malgagnes, entraîné par l’exemple, ne put faire moins que de répéter :

— J’ai faim !

Un second éclat de rire, plus strident, plus moqueur, re-