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LES CONTES DE NOS PÈRES.

sance. Ce qu’elle avait, elle le donnait aux tristes débris de la population du bourg. On recevait ses bienfaits, parce que la misère ne marchande pas, mais on les recevait sans gratitude, et il semblait que tout son généreux dévouement ne pût désormais compenser la juste haine qu’on portait au médecin bleu.

Celui-ci avait choisi l’une des cabanes abandonnées pour y établir sa demeure. Cette cabane, par un singulier hasard, était justement celle de Jean Brand, le ci-devant bedeau, son mortel ennemi. Du reste, le citoyen Saulnier n’y faisait que de courtes apparitions ; il poursuivait son œuvre de colère avec une passion inouïe, et se montrait toujours le plus ardent à la poursuite des Chouans.

Souvent Sainte restait seule au logis durant de longues semaines, sans nouvelles de son père. Quand il revenait, elle se précipitait à sa rencontre, joyeuse de voir ses inquiétudes terminées et espérant qu’enfin son père ferait trêve à cette lutte acharnée ; mais il n’en était rien. Le médecin bleu recevait avec une distraite indifférence les caresses de sa fille, puis il repartait en toute hâte.

Les Chouans, cependant, étaient loin d’avoir toujours le dessous. Déjà plusieurs fois des renforts étaient venus de Redon, mais la victoire restait indécise. Quand les Chouans étaient obligés de céder le champ de bataille aux troupes régulières, ils disparaissaient tout à coup pendant quelques jours. Nul ne savait quelle retraite les dérobait alors aux recherches les plus actives, puis, au bout d’une semaine, on les voyait revenir plus nombreux, plus déterminés que jamais.

Les femmes et les enfants qui étaient restés à Saint-Yon semblaient avertis de tout ce qui se passait au dehors, et faisaient les plus étranges récits. On disait que le général