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LES CONTES DE NOS PÈRES.

Durant la nuit, il descendit à la cachette dont lui seul, avec ses deux fils, connaissait le secret chemin, fit tranquillement ses préparatifs, et attendit des nouvelles des bleus en lisant son vieux livre d’Heures. Ce qu’il avait prévu ne manqua pas d’arriver. Seulement il y eut luxe d’assaillants. On avait flairé le trésor à Vannes et à Redon : on vint à la fois de Redon et de Vannes. Le coffret que M. le marquis de Graives avait rapporté sous son bras contenait le diamant de Condé, les papiers de l’association, et un morceau de la vraie croix, relique de famille que le vieux seigneur eût livrée aux profanes aussi peu volontiers que le trésor lui-même.

Entre nos deux reclus, la nuit se passa silencieuse et triste. L’enfant se réveillait de temps en temps ; il avait froid. Mme de Thélouars le regardait alors avec des yeux désolés, et songeait à son mari.

— S’il savait où nous sommes ! pensait-elle.

Mais ces mots étaient seulement une plainte, et non point l’expression d’un espoir. La plus folle imagination n’aurait pu concevoir désormais un moyen de communiquer avec les insurgés de Ploërmel. Une heure auparavant, la chose était possible. Un mot prononcé par le vieux seigneur eût transformé ses serviteurs en autant d’émissaires, mais ce mot, il ne l’avait point voulu prononcer. Son dévouement, dépassant l’héroïsme pour arriver à la monomanie, prétendait obstinément au martyre.

Cette pensée de martyre, caressée peut-être pendant de longs mois, trônait despotiquement dans son esprit. Trop tyrannique pour être lucide, elle mettait dans l’ombre tout raisonnement. M. de Graives ne voyait pas, ou ne voulait pas voir qu’il faut un but à tout sacrifice, et que le martyre inu-