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LES CONTES DE NOS PÈRES.

Au moment où les chevaliers allaient quitter la nef, elle releva son voile et montra son radieux visage. Addel croyait rêver. La joie et la surprise paralysaient ses muscles. Il restait cloué au sol.

— Rachel, murmura-t-il enfin, je sais votre nom ; car, depuis le jour où je vous ai vue, j’erre, soirs et matins, sur les bords de l’Ille, guettant un regard de vos yeux, interrogeant vos serviteurs, et devinant votre doux visage derrière le voile épais de vos rideaux jaloux… Je pars, Rachel, et je vous laisse mon pauvre cœur, qui souffre et ne veut plus guérir du mal d’amour.

Rachel écouta ces mots sans colère. Tandis qu’elle écoutait, un fugitif incarnat colora sa joue pâle.

— Addel, répondit-elle en souriant avec mélancolie, je sais votre nom, moi aussi ; soirs et matins, je reste à ma fenêtre, tant que vous errez sur les bords de l’Ille… Mais vous êtes noble, et mon père est marchand ; vous êtes pauvre, et nul ne saurait compter les opulents trésors de mon père… Aimer, pour nous, ce sera souffrir.

— Qui ne voudrait souffrir pour l’amour de vous, Rachel !

— Addel ! cria de loin la voix retentissante de Gérard Lesnemellec, qui était en selle sur le parvis.

La foule s’était écoulée sans que les deux jeunes gens y eussent pris garde. Ils restaient seuls sous les hauts piliers de la nef.

— Adieu, dit Rachel, je vous donne mon cœur et vous le garderai fidèlement pendant cinq ans.

— Pourquoi cinq ans ? voulut demander Addel.

Mais la belle juive lui passa vivement au doigt un anneau d’or et s’enfuit en répétant :

— Cinq ans !