comme si une main m’eût soulevé. La voix de M. Remy, bien faible, mais très distincte, parlait à côté de moi.
— Donne-moi à boire, disait-elle ; pas de la potion, de l’eau pure.
— Remy, mon cher maître, m’écriai-je croyant rêver, car je l’appelais souvent par son nom de baptême, pour l’avoir eu tout enfant sur mes genoux, ai-je donc eu le cœur de dormir et m’avez-vous appelé déjà ?
En même temps je m’approchais avec un verre d’eau.
— Tu n’as pas dormi, me répondit-il, ma langue vient de recouvrer sa liberté comme si on eût brisé le lien qui l’attachait. Va chercher un verre dans le buffet et de l’eau à la fontaine : ces hommes ont été autour de la table.
— Et vous croiriez ?… commençais-je.
Il m’interrompit en disant :
— Va, j’ai grand’soif !
Je revins tout courant après avoir pris de l’eau fraîche à la fontaine, et il but avec avidité.
— Ce sont ces hommes qui m’ont tué, me dit-il de sa pauvre belle voix tranquille et grave en me rendant le verre.
Et comme je balbutiais dans ma stupéfaction les mots justice, tribunaux, il sourit d’un air découragé.
— Dix ans d’existence ne suffiraient pas pour faire luire la vérité, murmura-t-il, et c’est à peine si j’ai quelques heures. À quoi bon essayer l’impossible ? Il faut employer autrement le temps qui me reste.
— Mais vous les avez donc vus ! m’écriai-je, vous les avez entendus !
— J’ai tout entendu et tout vu, répon-