Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/142

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Courant à perdre haleine, j’arrivai chez maître Hugues. J’y retrouvai l’ancien cœur, les anciennes compassions de mistress Sophie. Sitôt qu’elle me vit, ses larmes coulèrent quatre à quatre ; elle me fit asseoir, et tandis que, lavant mes blessures, elle y appliquait des bandages plus — une tranche de bœuf cru sur l’œil — elle me consolait, elle m’encourageait, comme l’eût fait une mère.

Les sentiments de maître Hugues s’exhalèrent en effroyables imprécations. On lui avait endommagé son outil ! — L’outrage infligé à l’homme, il ne s’en souciait guère. Un noir ! Qu’importe cela ? Ne pouvait-il, à sa convenance, le déchirer de coups, lui aussi ? Mais l’instrument, le capital !

Mes plaies un peu raccommodées, maître Hugues me conduisit chez le magistrat. Il s’agissait d’obtenir satisfaction. — M. Watson écouta le récit :

— Monsieur Auld, fit-il, avez-vous des témoins ?

— L’assaut a eu lieu dans un chantier plein d’ouvriers.

— Témoignent-ils ?

Maître Hugues se taisait.

— Je le regrette, monsieur, mais je ne puis poursuivre, qu’en vertu du serment de témoins appartenant à la race blanche.

— Mais monsieur, regardez ce garçon, sa tête, son œil poché ! Voilà des témoins !

— Monsieur, il aurait été tué sur place, en présence de mille noirs, que si un blanc ne témoigne pas, je ne saurais agir. Mille témoins noirs, mille serments de noirs, ne m’en donneraient pas le droit.