Aller au contenu

Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/171

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de répétailler, semaine après semaine, la même sempiternelle histoire ! L’auditoire se renouvelait, d’accord, mais le récit vieillissait. Tout objet que je fusse, ce mécanisme de boîte à musique fatiguait, écœurait l’objet. L’objet se permettait de penser, de philosopher ; et lorsque M. Garrison, mon révérend ami, murmurait à mon oreille, tandis que je gravissais les degrés de la plate-forme :

— Votre histoire, Frédérick ! Racontez votre histoire ! — quelque chose protestait en moi.

Relater les injustices, ne me suffisait plus ; c’est de les flétrir que j’avais besoin. Mon âme débordait ; l’amande faisait sauter la coque. Tout en dénonçant le crime, j’attaquais le système, je le battais en brèche, je le démolissais :

— Frédérick ! Frédérick ! — s’écriait alors M. Foster alarmé : — Si vous y allez de ce train, on ne croira jamais que vous ayez été esclave !

— Restez nègre ! reprenait Collins : Le patois de la plantation ! N’ayez pas l’air d’en savoir trop !

Chers amis ! leurs intentions étaient aussi pures, qu’eux-mêmes étaient excellents. — Avaient-ils tout à fait tort ?

Quoi qu’il en soit, je continuai de parler comme il me semblait, à moi, que je devais parler, moi.

La conséquence redoutée se produisit.

— Il ne s’exprime pas comme un esclave ! se mit-on à dire : Il n’en a ni l’air, ni les façons. Lui ! venir du Sud ! — on haussait les épaules : — Avez-vous remarqué ? Pas un mot sur le pays où il était esclave, sur le