de gauche, sans que le large courant de sa pensée en fût un instant interrompu.
Qu’on me permette de glisser sur mes relations avec la société littéraire ; mon grand objet, l’abolition, me rapprochait du monde politique avant tout. Et cependant sir John Bowering, poëte-diplomate — il avait représenté l’Angleterre en Chine — William et Mary Howitt, traducteur des œuvres d’Andersen — j’étais leur hôte avec lui — n’épargnèrent leurs sympathies ni à la cause des esclaves, ni à l’esclave évadé.
Mais l’homme que je tenais à voir, c’était Clarkson, le dernier survivant de cette noble lignée d’Anglais : Sharpe, Wilberforce, Fowell Buxton, qui attaquèrent la traite florissante, respectée, et en la flétrissant, et en la tuant, portèrent des coups mortels à l’esclavage.
Clarkson, lorsque MM. Garrison, Thompson et moi, nous fûmes introduits dans sa bibliothèque, rédigeait une lettre abolitionniste, destinée aux États-Unis. Il avait quatre-vingt-sept ans ; nous étions jeunes. Le dix-huitième et le dix-neuvième siècle se rencontraient en cet instant, émus des mêmes indignations, poursuivant le même but : liberté pour tous.
Après un cordial accueil à mes amis, Clarkson se leva, prit ma main dans les siennes, et d’une voix tremblante :
— Dieu vous bénisse, Frédérick Douglass ! dit-il : J’ai consacré soixante de mes années à l’émancipation de votre peuple ; s’il m’en restait soixante à vivre, je les lui donnerais encore.
Notre visite fut courte ; quand nous nous séparâmes