Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/27

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— enseignait les petits-enfants du colonel. Grand, maigre, osseux, taciturne et solennel, il n’adressait pas douze fois en douze mois la parole à un noir.

Les fils des employés supérieurs, placés dans un collége de l’État, ne risquaient pas d’en rapporter des idées subversives du système. Aucun ouvrier blanc n’était admis sur la plantation. Nul, par conséquent, n’y introduisait quelque infection d’indépendance ; nul n’emportait au dehors quelque sanglant souvenir.

Maîtres, surveillants, esclaves, ces trois classes comprenaient tout.

Forgerons, charrons, charpentiers, menuisiers, cordonniers, tisserands et tailleurs étaient esclaves. Chaque feuille poussée, chaque grain mûri sur les fermes du colonel, entassés dans les flancs d’embarcations qui lui appartenaient et que montait un équipage esclave — sauf le capitaine — allaient se débiter à Baltimore. Ces barques en ramenaient les objets nécessaires à l’établissement. Un réseau de propriétés, dont les maîtres soutenaient d’intimes relations avec le colonel, entourait ses terres, et maintenait intact, le fait de la séquestration. Pas un souffle de liberté, pas une vibration d’idées, pas un écho des voix qui parlaient au dehors ! Royaume à part, despotiquement gouverné, ayant son code, ses règlements, son langage, sans recours possible à qui ou à quoi que ce fût !

L’intendant, arbitre souverain, à la fois accusateur, jury, juge et bourreau, décidait en premier et dernier ressort. — Muet par ordre, le prévenu n’était jamais admis à témoigner, sauf contre un autre esclave.