Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/307

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Je m’attarde aux détails, pardonnez-le-moi ; semblables retours, à cinquante ans d’intervalle, ne reviennent guère dans une vie. Ému jusqu’au fond de l’âme, je marchais à travers ces sites, comme à travers un rêve. Et c’est l’arrière-petit-fils du Governor qui m’escortait ! Je revoyais par la pensée le bisaïeul, majestueux, de grandes façons : peu de paroles, main de fer. Et j’en reconnaissais les traits avec la manière, dans ce garçonnet à l’aristocratique visage, frère cadet de M. Howard, qui accompagnait nos pas.

Je retrouvai tout : le long quartier, le quartier de la hauteur, l’habitation de Captain Anthony, celle des surveillants Seveir, Gore, Hopkin ; la cuisine d’où si souvent m’avaient expulsé les gifles d’Aunt Katy, la cuisine où pour la dernière fois, j’avais embrassé ma mère ; cette fenêtre de miss Lucretia, sous laquelle, affamé, je chantais, et une main blanche me donnait du pain, un tendre cœur adoucissait mes peines !

Je reconnus l’imposante remise où mes yeux d’enfant, avaient tant admiré les voitures de gala, les fêtes d’esclaves ; quand le Governor livrait la Hall à ses nègres, qu’elle retentissait sous les coups du tam-tam, les chansons, les rires, la mesure que battaient en dansant les pieds noirs !

Je revis l’échoppe, sur l’établi de laquelle Uncle Abe fabriquait et retapait les souliers ; la forge où les bras d’Uncle Tony, maniant le marteau, faisaient jaillir les étincelles, et dont l’hebdomadaire clôture m’apprit qu’il existe un dimanche ici-bas. Je revis la cabine où maître Cooper, le magister des négrillons, enfonçait à grand