Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

barre ardente — nous jouions dans la forge — et me marqua d’une croix, dont mon front a gardé l’empreinte.

Hurlant comme on peut croire, saignant à flots, je pris ma course vers la cuisine. Pour toute consolation et tout remède : — Tu as ce qui te revient ! fit tante Katy.

Mais mistress Lucretia, que mes cris avaient attirée, m’emmena dans le parloir — privilége à nul autre pareil — de sa douce main lava ma blessure, versa du baume sur un morceau de fin lin, en enveloppa mon pauvre front, et me sourit. — Oh ! ce sourire, oh ! ce regard ! Ils guérirent mieux les douleurs de mon âme, que le baume n’adoucit les plaies de ma chair.

Quand la faim me tenaillait plus que d’ordinaire, j’avais coutume d’aller chanter sous les fenêtres de ma maîtresse. Sa petite main, paraissant alors, me tendait la beurrée. Une profonde gratitude s’enracinait dans mon cœur.

Deux amis : Mistress Lucretia chez le Captain ; Daniel, maître d’hôtel de la Grande-Maison — il me protégeait contre les garçons plus forts que moi — ont fait rayonner sur mon enfance, des jets de lumière qui en illuminent l’obscurité. L’esclavage, c’était les ténèbres ; leur bonté, c’était le soleil.

Restait la maigre pitance, l’insuffisance des vêtements, l’absence d’abri régulier. Les porcs avaient l’étable avec les feuilles ; les chevaux avaient l’écurie avec la paille ; les négrillons n’avaient rien.

Entre le chaud et le froid, on ne savait le pis.

Me glissant, quand il gelait fort, dans un sac à maïs,